Enzo de Laurent Cantet et Robin Campillo

Film testament

Chronique réussie d’une adolescence rebelle, Enzo, initié par Laurent Cantet et repris à sa mort par son ami Robin Campillo, évoque les thèmes chers aux deux cinéastes, la transmission et la construction.

Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Après une journée de labeur, il rentre chez lui, dans la belle maison d’architecte de ses parents (Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino), et fait quelques longueurs dans la piscine. Mais, coincé entre son frère qui prépare son bac et son admission dans un prestigieux lycée parisien et ses parents qui lui font sentir qu’ils espéraient mieux, Enzo cherche à s’évader. Il se rapproche de Vlad, l’un des ouvriers ukrainiens du chantier sur lequel il travaille, pour lequel il éprouve attirance et admiration. Vlad lui plaît aussi parce qu’il vient de loin, envisage de faire la guerre, et a coupé les liens avec ses parents… tout ce que rêve de faire l’adolescent.

Enzo s’inscrit dans la lignée du cinéma social, tissé par Robin Campillo (Grand Prix à Cannes en 2017 pour 120 Battements par minute) et Laurent Cantet (Palme d’or 2008 pour Entre les murs). Or la disparition de ce dernier, en avril 2024, colore l’œuvre d’une poignante dimension d’adieu : Campillo filme le scénario de son ami, comme on retient un dernier souffle.

Présentée à Cannes, en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes, cette chronique mêle pudeur et incandescence. Campillo laisse affleurer un trouble à la fois social et charnel : chaque tas de mortier, chaque regard traduit le prix de l’authenticité. La caméra, jamais ostentatoire, épouse le visage nu d’Eloy Pohu, tandis que la photographie de Jeanne Lapoirie inscrit ces corps à l’œuvre, les nimbant d’une poussière dorée, mais dans une Méditerranée concrète, loin de la carte postale. Au-delà du récit initiatique, le film devient dialogue posthume. Fidèle à leur compagnonnage depuis Ressources humaines en 1999, Campillo prolonge l’interrogation de Cantet : comment le travail et le collectif sculptent-ils un individu ?

Ici, bâtir un mur revient à rebâtir un visage après la perte. Le scénario esquive toute démonstration lourde, préférant les silences gênés d’un dîner bourgeois et la rudesse presque documentaire des gestes de chantier. Enzo n’a rien d’un testament figé : c’est une œuvre vivante, inquiète, ouverte, rappelant que la transmission n’est pas un mausolée, mais un relais. Le portrait d’une rébellion, mais aussi de la difficulté de la parentalité, encore plus quand un enfant sort du rang qui lui est assigné. En scellant l’histoire intime et créative de Laurent Cantet et Robin Campillo, le film nous invite, nous aussi, à poursuivre nos constructions et accepter nos flottements.