Cannes 2016

Synthèse : Théâtralité


THÉÂTRALITÉ


Le théâtre à Cannes court toujours le risque de souffrir du syndrome du passager clandestin. Comme dirait l’autre, si on aime le cinéma, c’est (soi-disant) qu’on n’aime pas le théâtre, et il existe peu d’insulte plus dégradante que l’accusation de « théâtre filmé ». En somme, trop souvent au cinéma, il est conseillé de cacher ce théâtre que l’on ne saurait voir, quand il ne choque personne de le voir fricoter avec la littérature ou la peinture (on parlera alors avec admiration de cinéma « romanesque », « poétique », ou même « pictural »). Toutefois, cette année a su montrer que le cinéma avait tout à gagner à se montrer plus bienveillant avec son prédécesseur.

Le tonitruant Juste la fin du monde de Xavier Dolan, adaptation de la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce, aura jeté aux visages des festivaliers les mots rageurs du dramaturge français avec une violence décuplée par l’hystérisation des acteurs, Vincent Cassel en tête, magistral en frère agressif et revanchard. Le 5ème long-métrage de la locomotive hurlante du cinéma québécois est un parfait exemple de la mutation réussie de ces deux formes d’expression, Dolan effaçant les oripeaux dramaturgiques et scéniques en les recouvrant intégralement de son style visuel (systématisation des gros plans, ralentis omniprésents, flash-back organiques…). La seule trace théâtrale, celle qui continue d’affleurer et résiste toujours au régime cinématographique drastique que le réalisateur impose au récit, est justement la langue de Lagarce, logorrhée faussement fluide, entravée de hoquets de haine et de colère, de brusques coups d’arrêt et de bafouillements désespérés. C’est ce dialogue entre la pièce et la pellicule qui permet ainsi au film de trouver sa respiration, de sauver de l’asphyxie ses personnages d’enfants désemparés, et de proposer un peu plus que ce fameux théâtre filmé tant redouté.

Le Client de Asghar Farhadi

L’autre film faisant du théâtre son miroir aura été Le Client d’Asghar Farhadi. Tout en suivant les pas de son personnage de mari menant son enquête pour découvrir l’identité de l’agresseur de sa femme, le réalisateur iranien montre en parallèle l’activité de comédiens de ce couple, accaparés par les répétitions de Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller. Débutant son film par une série de tableaux fixes donnant à voir la scène vide, Farhadi semble d’emblée annoncer l’artifice du drame à venir, comme si ses héros étaient condamnés à subir la mécanique de leurs passions. Plus encore, c’est dans son découpage que l’influence théâtrale est la plus prégnante, le cinéaste réussissant à créer une tension dramatique par sa simple mise en scène de l’espace, où chaque ouverture et fermeture de porte devient un acte de pur suspense, enfermant chaque fois un peu plus ses acteurs dans leurs obsessions délétères.

Volonté d’aérer le cinéma au grand vent du souffle dramatique, ou d’en cadenasser le cadre de l’écran en s’inspirant de sa limitation spatiale, telles auront été cette année les relations diplomatiques cinématographico-théâtrales. Néanmoins, chacune débouche sur un angoissant constat d’enfermement, qui semble annoncer que l’apaisement entre les deux arts n’est pas pour demain.