Garçon chiffon


Le grand brun avec des idées noires


Réjouissant long-métrage que le premier signé Nicolas Maury. Le comédien, à la fois devant et derrière la caméra, porte cette balade cocasse, et miroir d’un monde amoureusement mélancolique.

« Mon chiffon », c’est le surnom que sa mère (Nathalie Baye) donne à Jérémie depuis des lustres. Il a beau avoir dépassé la trentaine, elle l’affuble toujours de ce sobriquet enfantin, même quand il vient se recentrer dans le Limousin, car sa vie à lui part en vrille. Jalousie maladive, couple à la dérive, carrière d’acteur incertaine, le bilan n’est pas folichon. Mais Jérémie est attachant. Et drôle aussi. Il faut dire que son auteur-réalisateur-interprète Nicolas Maury a le don du drolatique. Comme acteur déjà, remarqué chez Mikael Buch (Let My People Go !) puis Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit, Un couteau dans le cœur), et popularisé en Hervé, assistant d’agent artistique dans la série télé Dix pour cent, dont l’ultime saison bat son plein actuellement. Pour son premier long-métrage, il s’est associé à l’écriture avec deux virtuoses de l’étude comportementale au cinéma : la scénariste Maud Ameline (Camille redouble, Amanda) et la cinéaste Sophie Fillières (Aïe, Gentille, Un chat un chat).

Garçon chiffon de Nicolas Maury. Copyrights Les Films du Losange.

Le trio a réussi une subtile fantaisie existentielle, qui va de la poésie quotidienne à la description paranoïaque délirante, du burlesque arythmique au conte initiatique. Au centre, un personnage déphasé et mélancolique, alliage contemporain et Queer de Buster Keaton, du mime Marceau et de Pierre Richard. La caméra le suit du début à la fin dans ses folles aventures, comme une créature trempée dans une multitude de bains successifs, que les réactions en chaîne nourrissent et façonnent. Nicolas Maury lui apporte sa longue silhouette dégingandée, perdue dans les rues de Paris, puis à la campagne, et dans les méandres de sa jalousie envers Albert (Arnaud Valois). Son tempo unique aussi, au fil de ses tonalités vocales aiguës, du murmure incertain à la déclamation fantasque. L’acteur raconte par sa seule présence, et s’est trouvé un cadre idéal avec ces cent dix minutes douces-heureuses, où il croise une foule de caractères.

Les trouvailles sont savoureuses, de situations en dialogues, de drames intérieurs en échappées extérieures, de la réunion des jaloux anonymes du début au « Mes mères » adressé aux nonnes sauveteuses de la forêt. Jamais cynique, le ton célèbre une humanité pas toujours à l’aise avec les lignes droites. Le chemin de traverse et la digression dominent ce chapelet de saynètes sentimentales, qui racontent beaucoup, avec frontalité comme avec bienveillance. Et Nicolas Maury se dessine en véritable témoin de son époque, dans le décalage (Jérémie répond « télétransporte-moi » quand son agent lui dit qu’il aurait enchaîné les films s’il avait été acteur dans les années 1960), comme dans l’acuité perspicace. Les pieds en 2020, et la tête dans les étoiles du temps qui passe. Ce Garçon chiffon est aussi réjouissant qu’émouvant.