Les Siffleurs

Ode au langage

Porumboiu signe un film de genre. Un polar tout en références, qui se promène au son d’une barcarolle et d’une langue sifflée dans les méandres des âmes corrompues, que seul l’amour peut sauver… Peut-être.

C’est une histoire somme toute banale. Celle d’un flic corrompu et d’une femme fatale. Mais Cristi, le flic, est tout flapi, anesthésié, endormi, une sorte de «  Beau au bois dormant  » de Bucarest, cette ville qui se déploie dans toutes les nuances de gris. Un jour, la femme fatale lui donne un baiser de ses lèvres rouges comme le sang. Elle s’appelle Gilda, comme Rita Hayworth, la splendide, dans le film éponyme de Charles Vidor, comment pourrait-il en être autrement  ? Et ce baiser, suivi d’une vigoureuse séance de sexe, n’est qu’un faux-semblant, un leurre pour les autres flics qui surveillent Cristi et ont truffé son appartement de caméras et de micros.

Vrai ou faux, ça nous le réveille, notre endormi, et le voilà débarquant au son de The Passenger d’Iggy Pop, dans l’une des îles Canaries, La Gomera, afin d’y apprendre le langage sifflé unique au monde, el silbo. Le but  ? Pouvoir communiquer à l’insu de la police et aider Gilda et quelques mafieux à sortir de prison leur ami Szolt, l’homme qui sait où est caché l’argent de la drogue (30 millions d’euros, tout de même).

Corneliu Porumboiu n’aime rien tant que le pouvoir des mots, surtout quand il s’exerce dans des situations absurdes. Son premier long-métrage, 12 h 08 à l’est de Bucarest (récipiendaire de la Caméra d’or au Festival de Cannes 2006), reste un des films les plus drôles, les plus inventifs que l’on ait vus sur l’ère post-Ceaucescu en Roumanie. Ça y discutait ferme sur le plateau d’une télé locale pour savoir si oui ou non il y avait eu révolution  ! Et de Policier, adjectif  au Trésor, tous ses films invoquent le langage et les mensonges, outils aussi retors que précieux.

Ce qui ne l’a jamais empêché de chercher des formes et de travailler la matière du cinéma au cœur même de ses récits.

Ici, il joue avec les codes du film de genre, cite Hitchcock et Ford, et installe des personnages de polar au cœur d’une intrigue complexe, où tout le monde trahit tout le monde. Il utilise le langage sifflé comme nouvel outil de communication. Ce langage qui nécessite que l’on mette ses doigts dans la bouche, comme un pistolet prêt à tirer… 

C’est donc un film noir et en même temps un film léger en apparence. Empli de figures imposées, qu’il détourne et renouvelle, et de couleurs chatoyantes. Chaque personnage a la sienne  : parmi eux (deux mafieux, une juge, etc.), Gilda est rouge, tandis que Cristi est blanc. Blanc comme un clown triste, blanc comme la page qu’il lui reste à écrire peut-être pour retrouver la vie et ses nuances. 

C’est violent et drôle, intelligent et plus profond qu’il n’y paraît. C’est bien de la Roumanie d’aujourd’hui que parle le réalisateur, un pays sans foi ni loi, où la corruption fait rage, et où le sentiment semble banni. Mais nul n’est à l’abri de l’amour… Il le fait avec malice et dextérité (lumière splendide, montage alerte, utilisation de la musique qui va de l’opéra aux valses de Strauss en passant par Iggy Pop). Les Siffleurs, interprété avec grâce, est aussi prenant et divertissant qu’il est malicieusement envoûtant.