L’Arbre aux papillons d’or

Grand vent d’est

Somptueuse découverte venue du Vietnam, ce premier long-métrage a remporté la Caméra d’or en mai dernier sur la Croisette. Une élégie fascinante signée Pham Tien An, un nom à retenir.

La maîtrise de ce coup d’essai dans le format long est saisissante. Dès la première séquence, le regard est happé par la mise en scène, d’un auteur déjà révélé à la Quinzaine des Cinéastes avec son court-métrage Stay Awake Be Ready. Des garçons attablés partagent un verre à une terrasse. Puis un accident de circulation résonne non loin de là. La caméra s’empare avec lenteur et profondeur de l’espace-temps pour relier les deux centres d’action. Les mouvements envoûtent. La magie se diffuse instantanément et durablement. Pendant près de trois heures, Pham Tien An entraîne le regard et les sens dans un cheminement existentiel. Concret aussi, car le héros Thien traverse la campagne et les montagnes, avec son jeune neveu Dao, pour ramener le corps de sa défunte belle-sœur, et mère du petit, dans leur village natal. Comme dans de nombreux périples, ce n’est pas le but qui prime, mais le trajet. Et il est riche en rencontres, retrouvailles et révélations.

Le cinéaste capte la densité des moments du vécu. Des presque-riens, des sensations, mais qui disent tant, car ils racontent le ressenti humain au présent. Un travail d’équilibriste à la réalisation, à l’image, au son, au montage, pour rendre compte des vibrations infimes qui animent les êtres. La bonne idée de cette épopée contemplative est d’inscrire les personnages dans le décor rural d’un Vietnam peu raconté, peu filmé, et qui a peu voyagé de par le monde. Pham Tien An défriche le territoire avec sa caméra, au fur et à mesure que son protagoniste avance, visite, retrouve. Thien fait l’épreuve de l’existence, de la mémoire, de la croyance, de la vie et de la mort, au gré de ses échanges, et des récits enveloppants qui lui sont confiés, tout comme du regard que l’enfant lui renvoie. La durée des plans, la précision des mouvements participent d’une sensorialité dépouillée, doublée d’une spiritualité inspirante.

La construction narrative marque également par sa rigueur et par sa fluidité. À la première demi-heure, intense et située à Saigon, succèdent le générique, puis l’enfoncée dans la nature provinciale. L’émotion saisit lorsque l’Histoire et ses traumas font irruption avec la confession de guerre d’un ancien, mais aussi quand des amours avortées ressurgissent du lointain, avec pudeur dans les mots comme dans la scénographie, qui tient les personnages à distance. La délicatesse règne, mais elle ne prive en rien cette découverte de sa profondeur. Ni de sa tenue. Et le public vogue au gré des séquences, expérimentant tout un champ des possibles. La grande ambition de ce premier long-métrage se mêle à sa générosité. Le cinéaste fait partager une expérience rare. Il redonne une splendide visibilité cinématographique à son pays d’origine, au moment où l’Asie du Sud-Est connaît un regain de vitalité, grâce à une nouvelle génération de réalisateurs et de réalisatrices aux propositions passionnantes.

Olivier Pélisson