Même si tu vas sur la lune

Les saisons de l’exil

Ce premier long-métrage signé Laurent Rodriguez suit quatre réfugiés syriens sur plusieurs années, réinventant leurs vies en France sous la houlette d’un professeur attentif, alors que leur pays ne cesse de se décomposer sous les coups de boutoir d’une guerre sans fin, et que leur identité s’efface trop souvent derrière leur statut d’apatrides.

 

C’est l’histoire d’un train qui arrive quelque part, et duquel quatre réfugiés syriens descendent, pour accoster un village de la région parisienne, comme des naufragés qui toucheraient enfin terre après une longue et périlleuse dérive à travers les courants de la géopolitique.

Avec ce premier plan, le réalisateur Laurent Rodriguez expose d’emblée l’humanisme de sa démarche derrière ce premier film. Faire entrer ainsi dans le cadre et dans notre vie de spectateurs Sara, Hasan, Ghaith et Kairy, c’est immédiatement anoblir ces jeunes hommes et cette jeune femme, pour en faire des personnages de cinéma, au même titre que les silhouettes tremblotantes descendues plus de cent ans plus tôt d’une fameuse locomotive en gare de La Ciotat, inscrivant de la sorte ses quatre héros dans un héritage historique et artistique ancien, et mieux les arracher au déterminisme de leur condition de réfugiés contre laquelle ils n’auront de cesse de se battre, tout au long des années où ils seront suivis par le documentariste.

« C’est ce mot qui définit tout ce que je suis aujourd’hui » dira l’un d’eux. « Quand la France m’a donné le statut de réfugié, les vingt premières années de ma vie ont été détruites d’un coup » confirmera un autre.

Même si tu vas sur la lune de Laurent Rodriguez. Copyright Moonlight Films Distribution.

Une des nombreuses beautés de ce premier film lumineux se trouve dans son décor principal de la maison de campagne d’Emmanuel Charrier (l’initiateur et responsable du programme d’apprentissage du français à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), où les quatre errants se réchauffent peu à peu, tant au soleil des saisons – indifférentes mais réparatrices – qu’à la chaleur des discussions partagées avec leur hôte, qui leur offre écoute et refuge au fil des années dans cette sorte d’oasis renoirienne. Comme d’autres documentaires avant lui, Même si tu vas sur la lune construit ainsi un espace de parole délicat, agencé le plus souvent autour de tables bien garnies. Un cadre délimité, apaisé, où l’appétit devient le seul passeport nécessaire à la compréhension et à la reconstruction.

Sans jamais en minimiser la blessure éternelle, l’exil y est filmé comme une parenthèse, évoquant tout aussi bien une plaie béante d’où suintent doutes, peurs et tristesses impossibles à cautériser, qu’une faille à travers laquelle le pollen des printemps de paix qui se succèdent peut pénétrer, pour faire refleurir les corps de ces rescapés et accélérer leur mutation intime : de plus en plus français, de moins en moins syriens, selon leurs propres mots. À l’aide de nombreux plans de reflets, exprimant cette dissociation en cours, Laurent Rodriguez nous rappelle que si un homme averti en vaut deux, un exilé aussi, et que c’est dans ce dédoublement intérieur que réside sa richesse inaliénable.