Avec son titre aux multiples facettes, Le Ravissement est l’histoire d’une femme qui s’enferme dans une illusion maternelle. Iris Kaltenbäck signe un premier film brillant et surprenant, tout en regardant avec empathie l’ensemble de ses personnages.
Récemment, plusieurs films français ont porté une attention particulière à la maternité. Une maternité hors de la norme, décalée, avec une question qui revient régulièrement, celle de l’amour pour un enfant qui n’est pas le sien. C’est la figure de la belle-mère dans Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, l’accueil d’un enfant par l’Assistance Sociale dans La Vraie Famille de Fabien Gorgeart ou même un désir que l’on satisfait au gré de petits arrangements pour Le Sixième Enfant de Léopold Legrand. Le Ravissement, premier long-métrage d’Iris Kaltenbäck, présenté lors de la dernière Semaine de La Critique, s’empare et prolonge ces questionnements à travers la libre adaptation d’un fait divers. Il y a plusieurs années, une femme avait fait croire à son entourage qu’elle était mère d’un enfant qui ne lui appartenait pas.
Lydia (Hafsia Herzi) est sage-femme, passionnée par son travail, qui, selon elle, consiste plus à s’occuper des mères que des bébés. Ceux-là, elles les croisent seulement, jusqu’à ce que sa meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse), lui annonce qu’elle est enceinte. Ce nouveau-né reconfigure chacun des personnages : les deux amies s’éloignent (geste rare que de voir au cinéma l’impact d’un enfant sur une relation amicale), mais surtout, Lydia va s’enfoncer dans un mensonge en faisant croire à une aventure d’un soir, Milos (Alexis Manenti), que cet enfant pourrait bien être le sien.
Le film nous est raconté par la voix off de Milos, qui se replonge dans son histoire avec Lydia. Dès les premières minutes, il prononce le mot procès alors que l’image nous montre de banales scènes de rue parisienne. Pourtant, la surprise laisse vite place à un suspense hitchcockien. Nous savons que la supercherie ne peut pas tenir, reste à savoir à quel moment la bombe explosera. Pendant cette attente, Iris Kaltenbäck prend le temps d’ausculter ses personnages. En créant une empathie avec chacun d’entre eux, Le Ravissement réalise un tour de force. Si Salomé et son mari (Younès Boucif) sont au cœur du récit, c’est bien Lydia qui est de tous les plans. Elle est pourtant l’héroïne d’un film raconté par un autre, Milos, avec cette voix off omniprésente. C’est bien cette multiplicité des points de vue qui crée l’empathie, renforcée par les prestations des quatre comédiens, qui déroulent parfaitement leur partition.
Hafsia Herzi impressionne par sa manière de camper cette sage-femme à la détermination aveugle. Rassurante et professionnelle avec ses patientes, ces gestes nous paraissent d’une extrême précision lors de certaines scènes qui s’attardent sur la pratique de son métier. Cette intrusion du documentaire dans la fiction peut rappeler le travail de Sophie Letourneur sur Énorme, un autre grand film de maternité décalée. Si le film ne s’aventure jamais sur la piste de la folie, l’actrice parvient pourtant à incarner ces moments où le mensonge prend le pas sur la raison.
L’enfant au centre de toutes les préoccupations s’appelle Esmée, littéralement “qui est aimée”. Un prénom riche de sens, autour duquel se cristallise une autre grande réussite du film en montrant comment on peut apprendre à aimer un enfant. Chacun apprend à devenir père ou mère à des moments différents de la vie de ce nourrisson. Si pour les uns, l’amour est immédiat, d’autres doivent prendre le temps d’accueillir cette parentalité. Qu’importe que ses personnages aiment immédiatement ou non, qu’ils se marginalisent, mentent ou souffrent, Iris Kaltenbäck continue de les regarder avec bienveillance et humanité.