Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist
On se lève et on résiste
À travers des témoignages forts et des parcours reconstitués, ce documentaire coup de poing dénonce et analyse la généralisation des violences en ligne, et ce dont elles se font le reflet. À voir absolument.
« Ce qui se passe en ligne se passe aussi dans le monde réel. » Produit et distribué par La Ruelle Films et réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, Je vous salue salope démonte les rouages d’un nouveau type de violences contre les femmes, ravageur et en pleine expansion : les cyberviolences.
Si elles s’exercent dans le monde virtuel, elles se présentent sous la forme de harcèlement, dénigrement, lynchage, sextorsion, diffusion de photographies intimes, menace de viol ou de mort… Selon l’ONU, 73 % des utilisatrices d’Internet ont subi une forme de cyberviolence.
La dimension universelle de ce documentaire, construit comme un thriller qui tisse sa toile et nous entraîne dans une escalade psychologique, donne à voir l’impact cataclysmique de ce phénomène. USA, France, Canada, Italie… Les réseaux sociaux et les plateformes sont le théâtre de violences « virtuelles » sans précédents, dont l’impact, lui, est bien réel. Elles s’exercent principalement sur des femmes qui prennent l’espace et la parole, qui sont porteuses de changement, ou qui accèdent à des postes de pouvoir.
Je vous salue salope suit plusieurs parcours, retrace les étapes de chacune, et dessine sans complaisance les contours d’un monde ultra-violent dont la rhétorique haineuse a pris un essor particulier durant la campagne, puis l’élection de Donald Trump, avant de voler de ses propres ailes, dans des sociétés où, sous couvert de liberté d’expression ou de zones d’ombre sur le plan juridique, les agressions, mensonges, humiliations et menaces fleurissent en toute impunité.
L’invasion de ces violences misogynes, sexistes, racistes, voire antisémites, vise des petites filles, des adolescentes, des jeunes femmes et des femmes, sans discernement d’âge. Leurs témoignages sont l’expression du monde d’aujourd’hui, en toute transparence, à l’inverse de l’anonymat qui souvent (mais de moins en moins) prime dans les cyberviolences.
Ces témoignages, à la fois partage et analyse, tous faits à visages découverts, égrènent les déferlements de haine totalement décomplexée, les stratégies d’intimidation, la volonté de réduire au silence et de terrifier les femmes dans l’espace public et au-delà, et leurs conséquences dramatiques, parfois fatidiques. Le virtuel étant devenu un nouvel espace public, mais aussi une extension de l’espace personnel, autant de témoignages révèlent les strates d’un problème à grande échelle : en charriant un flot de haine qui semble de plus en plus normalisé, le cyberharcèlement et les violences virtuelles font le lit d’une culture de l’insécurité et de la haine, qui voyage à travers le monde, et qui s’avère le reflet d’une époque, d’usages nouveaux via les plateformes et les réseaux, et de cette « violence augmentée ».
Analyses sociologiques, économiques, politiques d’une époque en pleine mutation et de l’attitude démissionnaire des plateformes, qui bénéficient de ces contenus et des réactions/débats qu’ils génèrent… Le documentaire de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist va bien plus loin qu’un simple constat des violences en ligne. L’écriture, le montage et le son participent à resserrer l’étau de la narration, et de l’expérience de celui ou celle qui le regarde. C’est, aussi, ce qui en fait un film essentiel à voir, à diffuser, à partager, afin de prendre conscience de l’impunité des agresseurs, et de l’inaction de la police, des pouvoirs publics et des responsables des plateformes sociales. Cette impunité est, au fond, l’autre sujet de ce documentaire.
À la fois vrai brise-cœur et sonnette d’alarme, Je vous salue salope donne la parole à des protagonistes dont les expériences et les domaines d’expertise permettent de nous faire passer du constat à l’indignation, de l’incompréhension au décryptage et de la colère à l’espoir. Il dénonce, sans complaisance aucune, un terrorisme misogyne systémique inacceptable, et le scope de ses conséquences sur la construction mentale de toute une génération.
Créer des lois adaptées au nouveau monde, et les appliquer ; refuser d’être intimidées ; résister ; éduquer ; transmettre ; se battre… Je vous salue salope nous enjoint enfin à défendre les droits des femmes ici et ailleurs, et à ne jamais baisser les bras, ni se taire.
On ne peut que saluer ce programme, et ce film.