Drôle, malséant, superbement réalisé, le troisième long-métrage d’Ari Aster confirme (jusqu’à l’absurde) les nombreux espoirs placés dans le jeune cinéaste.
En cinq ans et seulement trois films, Ari Aster, 36 ans, s’est imposé comme une des sensations du cinéma américain contemporain. Jouant avec deux genres a priori contradictoires, le drame psychologique et le film d’horreur graphique, Hérédité et Midsommar, avec leur mise en scène glacée et leur scénario retors, ont imposé l’image d’un cinéaste du contrôle et du détail, capable d’amener d’excellents comédiens (Toni Collette, Florence Pugh, Gabriel Byrne) dans des univers où on ne les attendait pas forcément. Avec Beau Is Afraid, le réalisateur ajoute une nouvelle couleur à sa palette, celle de la comédie. Si l’humour noir était présent par touches dans ses deux premiers opus, le dernier en date se présente tout simplement comme une comédie. De fait, on rit souvent devant le périple de Beau, quadragénaire dépressif, vivant dans un environnement aussi sale que dangereux, et dont les nombreuses névroses lui font manquer un vol qui devait le rapprocher de sa mère, vivant à l’autre bout des États-Unis. Et si l’on rit devant Beau Is Afraid, on peut le faire de plusieurs façons. On peut évidemment rire des malheurs qui s’abattent sur le héros du film, physiquement malmené, humilié et plongé dans des situations absurdes. On peut également rire des évocations, souvent salaces (les anatomies masculine et féminine donnent lieu à des jeux de mots et associations d’images outrancières parfois efficaces), qui parsèment le scénario. Ou encore de l’art burlesque dont fait preuve le réalisateur quand il s’agit de propulser son héros en différents endroits du cadre ou du récit. On rit d’autant mieux que c’est Joaquin Phoenix qui s’est glissé dans la peau du protagoniste, qu’il fait vivre tel une espèce de Droopy constamment en pyjama, malmené comme la balle d’un flipper psychédélique.
Mais Ari Aster ne cherche pas seulement à nous faire rire, il veut également confirmer les espoirs placés en lui dès son premier film. Et c’est peut-être là que le bât blesse. Car l’odyssée kafkaïenne de Beau s’étire sur trois heures, dans un programme finalement assez simple : le film commence par un accouchement filmé in utero et la quête du personnage est littéralement celle d’un retour vers la mère. Très conscient du sous-texte de son film et de l’ambition qu’il déploie sur l’écran (scènes d’action, séquences horrifiques, interlude animé, représentation théâtrale), Ari Aster, pétri de références littéraires et picturales, veut par tous les moyens impressionner ses spectateurs. Il en rajoute tellement qu’on finit par prendre une certaine distance avec ce qui se déroule à l’écran. Pour ne plus admirer que l’indéniable intelligence d’un cinéaste qui n’a déjà plus grand-chose à prouver, mais souhaite le faire quand même.