Inchallah un fils de Amjad Al Rasheed

De la croyance

Choisi pour représenter la Jordanie aux Oscars 2024, ce premier long-métrage du cinéaste Amjad Al Rasheed avait été programmé à Cannes, à La Semaine de la Critique, une première dans l’histoire du Festival, qui n’avait jusqu’alors jamais sélectionné un film jordanien. Cette œuvre intimiste sur les ravages du patriarcat est aussi un thriller féministe admirablement mené. Avec un sens du suspense digne d’un polar hitchcockien.

Jordanie, de nos jours. Nawal (interprétée par l’extraordinaire actrice Mouna Hawa) se retrouve subitement démunie de ce qui la constituait comme citoyenne, à savoir sa liberté d’agir et son autorité parentale. La mort subite de son mari la confronte à une double menace : perdre sa maison et sa fille. Toute mère seule avec son enfant doit trouver protection auprès de sa famille, plus encore lorsqu’elle n’a pas de fils.

Le patriarcat est, hélas, bien présent dans toutes les sociétés, plus encore lorsque la religion sert de prétexte à renforcer le pouvoir machiste. Nawal résiste à la sourde pression virile de ce beau-frère (Haitham Omari, dans un jeu subtil d’emprise) qui semble désirer bien plus que son argent, sa fille et sa maison.

Lâchée par un frère plus que lâche, cernée par le désir des hommes frustrés qui voient en elle une proie facile, Nawal refuse l’aide et l’amour authentique d’un ami. Comme dans un thriller, son temps est compté, elle n’a ni le cœur ni l’espérance pour s’engager dans une relation intime. La société entière contrôle les femmes, plus encore lorsqu’elles se retrouvent seules. Si amour il y a, alors il se niche dans le secret et entre quelques instants volés au temps. Amjad Al Rasheed filme ce couple surveillé dans quelques brèves scènes d’extérieur, dans un romanesque poignant, digne de Douglas Sirk.

De plus en plus acculée, Nawal vit une véritable descente aux enfers, où chaque lutte la précipite plus encore dans les filets d’un système rigide. Son travail d’infirmière, auprès d’une dame âgée de la grande bourgeoisie jordanienne, est ce qui la maintient dans une relative indépendance financière. Jusqu’au jour où quelque chose dérape au sein de cette famille si riche. La violence de la domination n’épargne personne, surtout lorsqu’elle se déroule dans le silence feutré des beaux salons.

Et c’est dans cette expérience commune de la souffrance et de la terreur que deux femmes que tout sépare vont nouer un pacte afin de sauver leurs vies. Le spectateur est tenu en haleine sur cet enjeu vital. Nawal, va-t-elle réussir ? Et comment peut-elle même espérer y croire, alors que l’étau se resserre, dans un timing infernal ? Comme dans un film d’Alfred Hitchcock, si nous connaissons dès le départ le coupable, nous ne savons jamais véritablement comment le personnage va chuter. Or ici, il ne s’agit guère de chute, mais de rédemption pour l’héroïne, condamnée dès sa naissance parce que femme. Par cette alliance féminine, le film, comme Nawal, nous laisse à penser que tout est résolu. Or ce serait trop simple, et politiquement assez dangereux de faire croire que seule la solidarité entre deux femmes suffirait à renverser un système mortifère de domination dans tous les pans de la société.

Le film nous emporte alors ailleurs, dans une fiction imparable. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : ne jamais renoncer au régime de la croyance. Ne surtout pas abandonner le récit, unique possibilité d’existence pour celles et ceux qui subissent les dictatures de toutes sortes. Si le cinéma peut se révéler comme miroir, alors traversons-le. Ce qui advient relève de la beauté qui ne peut s’expliquer.