36e Festival Premiers Plans d’Angers

Portrait Jean-Baptiste Durand - Une série de miracles

Sept nominations aux César pour Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand, directeur artistique des lectures de scénario de courts-métrages au Festival Premiers Plans 2024 est un jeune réalisateur à suivre. Et, d’ailleurs, nous le suivons !

Il est timide, les yeux baissés, la voix tout d’abord peu assurée. On sent que les interviews ne sont pas son plaisir ultime. Il s’y plie. Mais il parle de ce qu’il aime : le cinéma, raconter des histoires, diriger des acteurs. Et là, on sent que ça va tout de suite beaucoup mieux. Quelques minutes plus tôt, il s’est retrouvé dans un halo de lumière, se levant au milieu de la salle comble (mille personnes, tout de même !) du Centre de Congrès d’Angers, sous un tonnerre d’applaudissements. Sur scène, Claude-Éric Poiroux, fondateur et directeur du festival, venait de saluer ses sept nominations aux César pour son premier long-métrage, Chien de la casse. Poiroux avait, au passage, constaté que les cinq réalisateurs nommés pour le César du meilleur film – Justine Triet, Jeanne Herry, Cédric Kahn, Thomas Cailley et Jean-Baptiste Durand, donc – sont tous passés par le Festival Premiers Plans d’Angers. C’est vrai qu’il y a de quoi pavoiser.

Pour Jean-Baptiste Durand, il y a plutôt de la surprise, de la gratitude aussi. « Franchement, j’espérais une ou deux nominations… une au moins pour le meilleur espoir masculin pour Raphaël Quenard et … pour le premier film, peut-être, vu le parcours qu’il a eu. Secrètement, je me disais que Delphine Malaussena, qui, en dehors de sa partition dingue pour mon film, est une musicienne ample et originale, pouvait être remarquée… Et puis, Anthony (Bajon) et Galatéa (Bellugi) vu que c’est un film d’acteurs et que je les aime (ils et elles font partie des sept, avec meilleur film et meilleur scénario, ndlr). Mais sept nominations, ça relève du miracle. Tout, dans ce film, a été une suite de miracles. Les belles rencontres dès l’écriture, dans divers lieux de résidence, Le Moulin d’Andé, Émergence, Le Groupe Ouest, où il y a eu quelque chose de collectif. Et, avant même le très beau travail d’équipe qu’a constitué le tournage et la sortie avec Bac Films, le distributeur, qui a cru en nous et nous a soutenus dès le début, il y a eu l’accueil et la confiance du Festival d’Angers, où j’avais, en compagnie de Raphaël Quenard et de ma productrice Anaïs Bertrand, lu le scénario en public en 2021. Nous avions gagné le prix… Un sur un, car pour cause de COVID, les autres candidats n’avaient pu se déplacer, mais tout de même ! »

Après avoir présenté Chien de la casse en compétition lors de la 35e édition de Premiers Plans, en 2023, et raflé le Prix du public après une projection triomphale, Jean-Baptiste Durand est présent à nouveau cette année comme directeur artistique des lectures de courts-métrages. C’est une des spécificités de ce festival dédié aux premiers longs, courts, et films d’école, de donner à voir et à entendre les scénarios de films en devenir. Trois courts-métrages ont été présentés cette année dans ce cadre, lus par quatre épatants comédiens choisis par les Talents Adami Cinéma 2023 : Suzanne Jouannet, Quentin Laclotte-Parmentier, Pauline Nuez et Thomas Rio. L’exercice est plus compliqué qu’il n’y paraît, et ils s’en sont sortis avec éclat. Ils ont donné vie à une chronique minimaliste d’un père et son fils élevant des pigeons en vue d’une compétition colombophile (Golub de Milos Petrovitch), un portrait contrasté d’une adolescente influenceuse confrontée à la vraie vie lors de vacances au bord de la mer (Les Saintes de Mélissandre Carrasco), et les débordements d’un groupe de jeunes dans le nord de l’Angleterre en 1995 (Wonderwall de Róisín Burns et Anna Cohen Yanay). Présents au texte et à leurs camarades, lisant les didascalies ou mimant des émoticônes, se regardant entre eux ou fixant le public, les deux comédiennes et les deux comédiens, coachés les jours précédents par Jean-Baptiste Durand, ont fait passer avec délicatesse et générosité les intentions des différents scénaristes.

« J’adore les comédiens, c’était donc la plus belle des propositions qu’on pouvait me faire d’en accompagner quelques-uns dans cette lecture de scénario, reprend Jean-Baptiste Durand. C’est un autre objet de cinéma, parce que ce n’est ni vraiment du scénario ni un film, c’est une nouvelle forme de narration, avec une rythmique, une projection différente. J’ai essayé de diriger ces lectures de la manière la plus humble possible, d’être au service des récits, de donner des indications de mise en scène pour faire naître la sensation du film. Ce n’est pas si loin de la direction d’acteurs sur un plateau, mais c’est au service du travail des scénaristes, qui, pour la plupart, vont ensuite réaliser ces films. Mais avec des pincettes. Il faut y aller le plus investi et le plus humble possible. »

Mission accomplie, pour celui qui se dit très gâté d’avoir vécu cette expérience. Jadis acteur dans ses propres courts-métrages, Jean-Baptiste Durand vient d’interpréter un personnage secondaire dans le septième long-métrage d’Alain Guiraudie, Miséricorde, tourné dans un village de l’Aveyron aux côtés de Félix Kysyl et Catherine Frot. « Je ne sais pas pourquoi il m’a choisi, il faudrait le lui demander : je vais sans doute l’apprendre lors des interviews pour la sortie du film. En tout cas, je sais qu’il aime bien les gueules et, on ne va pas se mentir, j’en ai une ! J’ai appris mon texte au cordeau et j’ai essayé d’être ce qu’il voulait que je sois. Je me suis retrouvé face à un maître très inspirant et c’était un cadeau de le voir travailler avec les gens exceptionnels dont il s’entoure : Laurent Lunetta, Claire Mathon, François Labarthe… Il y a une très grande pureté dans son geste de cinéma. J’étais comme un disciple qui observait plein de choses. Je vous dis que c’est l’année des miracles… »

 

Isabelle Danel