Les Feuilles mortes

Le temps d’aimer et le temps de vivre

C’est un film que l’on reçoit comme un cri du cœur doublé d’un sursaut d’espoir. L’œuvre d’un homme las, qui, alors qu’il menaçait d’abdiquer et d’arrêter de faire du cinéma, a pourtant écrit une histoire d’amour aux faux airs de miracle.

La sortie de tout film d’Aki Kaurismäki est une fête. Au dernier Festival de Cannes, où il était présenté en compétition, la projection dans la salle Lumière des Feuilles mortes, en présence du cinéaste, fut un moment de liesse, tant et si bien qu’à son issue, les larmes nous sont montées aux yeux lorsque le public a envahi l’espace de ses hourras à l’endroit du cinéaste finlandais, visiblement touché par autant d’affection choralement exprimée.

Pourquoi tant d’amour, alors ? Peut-être parce que le réalisateur de La Fille aux allumettes ou Au loin s’en vont les nuages sait rester sentimental et pudique, humble, simple et juste à la fois. La litote chez Kaurismäki est de mise, on le sait, et cela fait la force de son œuvre, traversée de désenchantement et d’humour délectable mêlés. Il y a dans ses cadres savamment composés, ses axes de caméra frontaux, ses à-plats de couleurs éclairés d’un léger halo de lumière reconnaissable entre mille, le jeu stoïque de ses interprètes (ici Janne Hyytiäinen et Jussi Vatanen, tous deux impeccables), une précision d’orfèvre. Comme si chacune de ses collaboratrices et chacun de ses collaborateurs savaient parfaitement ce qui se jouait ici : la fabrication d’une méticuleuse miniature susceptible de faire vaciller les cœurs les plus endurcis. Car comment résister à ces deux personnages sidérés par leur histoire d’amour naissante au point de manquer ternir le miracle de leur rencontre ? L’enjeu pourrait paraître restreint si ce n’est que la petite histoire et la grande (en l’occurrence le chaos russo-ukrainien, et la marche préoccupante du monde en général) n’étaient reliées par un judicieux jeu d’images et de sons tressés provenant de postes de télévision ou de radio.

Il y a autre chose aussi : en s’astreignant à un montage d’une heure et vingt et une minutes, et à des séquences en plans fixes qui donnent l’illusion d’un temps dilaté, Aki Kaurismäki parvient à hisser son récit à une fréquence où le quotidien densifié et le sentiment d’éternité convolent en justes noces. Résultat : ce grand-petit film d’amour majuscule, où se raconte que la force des liens humains reste ce qu’il y a de plus précieux en ce bas monde, nous fait ressortir joyeux et légers, avec le sourire aux lèvres et l’envie d’être amoureux. Du cinéma, de la vie, et des gens en général.

 

Anne-Claire Cieutat