La Tête froide

L’enfer blanc

Une jeune femme en situation de précarité fait la rencontre d’un migrant prêt à tout pour rejoindre sa sœur en Angleterre. Avec La Tête froide, le documentariste Stéphane Marchetti tresse les notions d’opportunisme et d’altruisme, et signe un premier long-métrage de fiction où tout sonne juste, à commencer par son admirable interprète, Florence Loiret-Caille.

À l’origine de ce projet, une image mentale persistante : celle d’une femme seule dans la montagne enneigée. Comme si le personnage de Marie avait sauté à pieds joints dans l’imaginaire de cet ancien journaliste-documentariste (lauréat du Prix Albert Londres en 2007 pour son film Rafah, chroniques d’une ville dans la bande de Gaza) au point d’engendrer à elle seule l’écriture de cette première fiction pour le grand écran. Celui qui a filmé la « jungle » de Calais, côtoyé de près des hommes, femmes, adolescents et enfants aux trajectoires douloureuses explore avec cette histoire un recoin du réel peu montré au cinéma jusqu’alors : ce qui se joue aux frontières entre passeurs et migrants aussi bien concrètement que psychologiquement. À juste distance de leurs protagonistes, Marie et le jeune migrant Souleymane, Stéphane Marchetti et sa collaboratrice au scénario Laurette Polmanss ne portent aucun jugement moral sur leurs actes et bâtissent les rouages de la machine infernale dans laquelle ces survivants se retrouvent captifs. Car Marie est de ceux-là : dans son mobil-home, jonglant entre les combines et les petits boulots, elle peine à maintenir la tête hors de l’eau, mais garde son sang-froid, comme l’évoque le titre, face au péril qui se fait de plus en plus menaçant.

La Tête froide de Stéphane Marchetti. Copyrights UFO Distribution.

Oscillant entre le gros plan et le plan large, dans ces paysages presque effacés par la neige, le réalisateur parvient à faire naître une tension sourde tout en maintenant un espace de résonance au sein de chaque séquence, qui laisse toute liberté au spectateur d’interroger ce qui se joue sous ses yeux.

Au centre de chacun de ses cadres ou presque, la comédienne Florence Loiret-Caille fait preuve d’une intelligence de jeu remarquable. Celle qui a navigué avec goût de l’univers de Sólveig Anspach (Queen of Montreuil, L’Effet aquatique) à celui de Jérôme Bonnell (Le Chignon d’Olga, La Dame de trèfle) en passant par ceux de Claire Denis (Trouble Every Day, Vendredi soir, L’Intrus, Les Salauds) ou Sarah Leonor (Au voleur), et s’est fait connaître davantage encore grâce au rôle de Marie-Jeanne dans la série Le Bureau des légendes, joue à merveille ici l’état de vigilance, et trouve toujours le délicat équilibre entre repli sur soi et empathie. Face à elle, Saabo Balde (qui fut dirigé par Robert Guédiguian dans Twist à Bamako et Jean-Pascal Zadi dans la série En place) incarne Souleymane dans un mélange d’aplomb et de sensibilité combinés. Dans cet enfer blanc, l’un et l’autre font de ce duo de hasard le pivot d’une réflexion profonde sur la nature des liens entre les êtres confrontés aux situations extrêmes.

 

Anne-Claire Cieutat