Dans les coulisses des effets visuels du Règne animal

À l’occasion d’une « Soirée de la Création », dédiée aux effets visuels, L’ARP, la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (collectif réunissant plus d’une centaine de cinéastes) a invité les professionnels ayant œuvré sur les effets visuels du Règne animal de Thomas Cailley à revenir sur leur travail ambitieux, récompensé d’un César. 

Le Règne animal de Thomas Cailley fut un des beaux succès français de 2023. Une bonne nouvelle pour le cinéma fantastique dans l’Hexagone et ses métiers souvent inhérents : les effets visuels. Le genre naturaliste a toujours été le fer de lance de la création sur grand écran, comme l’a rappelé en introduction à la discussion le délégué général de l’association France VFX Yann Marchet. Ce qui explique peut-être que les effets visuels ne sont récompensés par des César que depuis deux ans, alors que c’est le cas aux Oscars depuis 1939. Pourtant, la France compte paradoxalement de nombreux talents et studios de premier plan dans le secteur. Si, longtemps, leur savoir-faire s’exportait essentiellement à l’étranger, ils peuvent dorénavant compter sur des productions françaises en importante demande de VFX, du film d’horreur Vermines de Sébastien Vaniček à la nouvelle série Netflix Sous la Seine, créée par Xavier Gens. 

Symbole d’une alliance réussie entre une tradition réaliste du cinéma d’auteur français et une vraie ambition fantastique, Le Règne animal a fait travailler deux importants studios de VFX : La Moving Pictures Company (MPC), qui possède des bureaux à Londres, Los Angeles et bien sûr Paris, et qui a aussi bien travaillé sur les franchises Aquaman ou Transformers que sur le Napoléon de Ridley Scott ; et le légendaire studio français Mac Guff, à l’origine des films d’animation Moi, moche et méchant (mais qui a aussi signé les effets visuels de la série Lupin ou de la saga Les Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon). À partir d’images de travail inédites, les différents producteurs et superviseurs VFX du film sont revenus sur leur travail pour Le Règne animal.

Les créateurs de créatures

 

Un des enjeux particuliers du film en termes d’effets sont ses créatures. Thomas Cailley et l’équipe artistique ont d’abord travaillé à un moodboard et un storyboard, pour imaginer à quoi pourraient ressembler ces hybrides hommes-animaux du film. Ils ont ainsi collaboré avec des dessinateurs comme Frederick Peeters ou Fabien Ouvrard. Et ils se sont ensuite rapprochés de sociétés comme MPC ou Mac Guff, qui ont de l’expertise dans la fabrication de créatures en effets visuels. « Tout a commencé avec une première lecture de scénario », explique Cyrille Bonjean, de MPC. Le superviseur VFX explique comment il a fallu adapter le récit à la faisabilité des effets imaginés.

À partir des dessins préparatoires, les responsables VFX ont alors imaginé des créatures spécifiques, en réfléchissant à leur morphologie, et leur manière de se mouvoir dans l’espace. Comme l’explique le superviseur VFX Bruno Sommier, « il y avait plusieurs cas de figure » : certains effets venaient s’ajouter au corps des acteurs, et donc l’ensemble des choix artistiques devait se faire en amont du tournage – car ils influaient sur le jeu des comédiens. Sachant que la volonté de Thomas Cailley, dans une perspective réaliste, était qu’au maximum les créatures puissent être jouées par des acteurs. « Mais d’autres, en revanche, étaient full CGI », c’est-à-dire créées entièrement en postproduction – notamment celles qu’on voit plus fugacement. « Et dans ces cas-là, Thomas [Cailley] avait plus de temps pour peaufiner ce qu’il voulait », complète Bruno Sommier. Le tout en trouvant le juste équilibre entre les désirs artistiques et la faisabilité économique, comme le précise la productrice VFX Loriane Lucas. « Ce qui était difficile, par exemple, c’était sur le personnage de Fix [l’homme-oiseau interprété par Tom Mercier, ndlr], pour créer la transition entre les ailes et le corps », explique Cyrille Bonjean. Comme il faut la fabriquer plan par plan, cela coûte très cher. « Alors, on trouve des solutions : c’est pour ça que très souvent le personnage porte un poncho ou une couverture, ainsi on n’a pas besoin de systématiquement créer le lien entre son corps et ses ailes…  Mais du coup, il faut être capable d’anticiper toutes ces problématiques avant le tournage ». Ainsi, si l’essentiel du travail de VFX se fait en postproduction, les superviseurs expliquent, au long de cette passionnante table ronde, qu’il est important qu’ils soient présents sur le tournage, afin de trouver des solutions évitant de poser de nouveaux problèmes et donc de coûter plus cher en postproduction. Par ailleurs, dans cette étude de cas, les responsables VFX du Règne animal ont détaillé leurs collaborations étroites entre les effets spéciaux et les effets de maquillage, car la plupart des créatures du film sont nées d’une collaboration des trois métiers (maquillages, effets spéciaux physiques et effets visuels numériques). À travers de nombreux extraits de making of et plusieurs exemples précis, ce tour de table proposé par L’ARP nous rappelle à quel point les effets visuels sont au cœur du processus créatif d’un film et à toutes les étapes de production. Cela méritait bien un César.