La Semaine de la Critique #1

Récits d’une journée particulière

Découvreuse de jeunes talents, La Semaine de la Critique est souvent une histoire de premières fois. Les cinéastes y présentent leur premier ou deuxième long-métrage, et même s’ils ont pour la plupart fait leurs armes avec des courts, cette première projection mondiale est un moment unique, inoubliable et chargé en émotions intenses. 

Après avoir œuvré pendant des jours, des mois, si ce n’est des années, le film passe des mains d’un petit collectif acharné au grand public. Comme une dépossession, qui s’accompagne d’autant d’angoisse que d’excitation, vibrant jusque dans chacun des sièges de l’Espace Miramar, la salle de projection des films de La Semaine de la Critique.  

Comment vit-on cette journée si particulière ? Rituels, mantra ou superstitions jalonnent parfois ce passage de l’intimité au public. Quelles sont les émotions qui affleurent et comment le corps tient, subit ou apprivoise cette déflagration émotionnelle ?  

Pendant cette Semaine de la Critique, nous partons à la rencontre des cinéastes, actrices et acteurs pour raconter ce récit des premières fois.    

 Avec Marie Amachoukeli (réalisatrice d’Ama Gloria), Amanda Nell Eu (réalisatrice de Tiger Stripes), Amjad Al Rasheed (réalisateur de Inshallah a Boy), Purdey et Makenzy Lombet (comédiens dans Il pleut dans la maison) et Paloma Sermon-Daï (réalisatrice de Il pleut dans la maison).  

 

“Je somatise beaucoup”

“Cette journée est extrêmement bizarre. Nous avons passé des années à écrire un film et des mois à le financer. Le tournage est très difficile et arrive ensuite le montage avec son lot de crises d’angoisse. Toute cette partie est déjà très physique ! 

Quand on apprend qu’Ama Gloria est sélectionné, c’est à la fois joyeux et terrifiant, car on va enfin montrer le film. C’est comme une mise à nu, qui est très étrange pour quelqu’un de pudique. Je somatise beaucoup. Je n’ai pas dormi hier, je suis ravagée de boutons et j’ai des plaques partout, raison pour laquelle je porte un col roulé ! En même temps, on fait des films pour les autres, et savoir qu’on va le montrer dans une salle de cinéma, avec des spectateurs qui vont tous regarder dans la même direction, ensemble, ça me rend hyper-heureuse.”  

Marie Amachoukeli 

À l’écoute du corps

“C’est un moment à la fois écrasant et en même temps complètement excitant. Personnellement, j’aime être au plus près de ce que me dit mon corps et de ce qu’il ressent. J’ai été attentive à tout ce qui m’a traversée pendant cette journée, sans rien rejeter, car c’est aussi une source d’inspiration. J’écris mes histoires à partir de mes émotions et de mes sensations. Je veux donc me rappeler tout ce que j’ai ressenti ce jour-là.”  

Amanda Nell Eu 

Fixer un point

“Normalement, quand je me réveille, je prends un café et une douche et c’est comme ça que je commence ma journée. Aujourd’hui, en me levant, je suis resté pendant plus de trente minutes dans la même position, à fixer un point en me demandant ce qui allait m’arriver. C’est très stressant. Inshallah a Boy est un film personnel et se dire qu’on le montre pour la première projection mondiale, à Cannes en plus, ce n’est pas une chose facile à vivre.  

Dans le film, j’ai voulu impliquer les spectateurs dans l’histoire et les amener au plus proche de ce que ressent le personnage. Et à la fin de la projection, j’ai vu les yeux des spectateurs remplis de larmes et j’étais heureux, car c’était ce que j’avais cherché, même si c’est un peu étrange à dire !“  

Amjad Al Rasheed 

“D’habitude, c’est nous qui prenons les photos”

“Nous, on vit dans un petit village complètement opposé de Cannes. Ici, tout le monde est gentil et accueillant. Ce n’est pas comme ça chez nous, où les gens ne s’entendent pas, ne se parlent pas. Le fait de se voir sur grand écran, c’est difficile, car je n’ai pas l’habitude, mais je l’ai plutôt bien vécu.  

Je pensais que j’allais pleurer pendant toute la séance, car je voyais mon petit frère à l’écran. Mais en fait, je n’ai pas pleuré du tout, je crois que le fait de toujours savoir ce qui allait arriver dans la scène suivante m’a aidé, la comédie a pris le dessus.”  

Purdey Lombet 

“On arrive dans la salle, on monte sur scène et il y a je ne sais combien de personnes qui t’applaudissent. C’est un peu gênant, ça nous intimide. Autant de gens qui viennent et qui font des photos, alors que d’habitude c’est nous qui les prenons !“ 

Makenzy Lombet 

Redécouvrir son film

“Je n’arrive plus à voir le film, je l’ai tellement vu que tout devient mécanique. Je connais chaque coupe. Pendant la projection, je crois que pour la première fois, je suis parvenu à oublier un peu ça et à ressentir des émotions à nouveau. C’est peut-être parce qu’il y a un public qui vibre aussi dans la salle. 

Il y a aussi de l’appréhension de savoir que Makenzy, Purdey et Donovan (les trois comédiens du film, NDLR) n’avaient jamais vu le film. Je les sentais réagir et j’espérais qu’ils s’y sentent bien, qu’ils aiment leur image. On a tellement préparé le film ensemble que j’avais envie que ça leur ressemble.”  

Paloma Sermon-Daï