Bernadette de Léa Domenach

La revanche d’une blonde

Comédie savoureuse, le premier long-métrage de Léa Domenach est le croisement réussi entre un biopic décalé et un portrait de femme qui s’affirme. Avec une Catherine Deneuve aux petits oignons et une joyeuse troupe à l’unisson.

La fiction française a toujours eu du mal à aborder les figures politiques nationales de son époque. Et quand elle le fait, ce n’est pas toujours une réussite, comme pour La Conquête de Xavier Durringer, avec déjà Denis Podalydès, alors dans la peau de Nicolas Sarkozy, et où Michèle Moretti campait Bernadette Chirac. Elle est souvent plus intéressante quand elle décrit un milieu et des fonctions plutôt que des personnalités précises, à l’image de L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller au cinéma, ou des Sauvages de Rebecca Zlotowski à la télévision. Au moment où Tristan Séguéla a choisi de dédier une série à Bernard Tapie (Tapie), la bonne idée de Léa Domenach, pour son premier long-métrage de fiction, est d’affronter un passé très proche, pour faire le portrait d’une personne réelle, en jouant le décalage par l’humour. Bernadette est une comédie assumée, mâtinée d’un conte stylisé, avec son chœur, ses chansons, ses couleurs, et ses animaux (tortue, chiens), et elle affirme ce ton dès l’entrée en matière, dans une église, avec confessionnal d’un curé « fan de » et karaoké religieux désopilant.

Tout est question, ici, d’équilibre entre la véracité des événements et la liberté prise pour les raconter. La réalisatrice, descendante d’intellectuels et de journalistes, et sa coscénariste Clémence Dargent (séries Têtard, OVNI(s), Irrésistible) réussissent à faire rire sans être cyniquement à charge, et sans tomber dans l’hagiographie non plus. Le regard sur la véritable Bernadette Chirac ne change pas diamétralement, mais il s’enrichit d’une nouvelle facette, via le filtre fictionnel humoristique. Bernadette est un biopic customisé, le portrait d’une femme qui prend sa revanche, d’une épouse d’un homme à haute fonction qui ne veut plus faire tapisserie, comme sur l’affiche du film. Elle évoque aussi l’héroïne du Potiche de François Ozon, autre fantaisie colorée à brushings imposants sur une bourgeoise vieux jeu en mutation, où Catherine Deneuve excellait. Et cette revanche s’avère un ressort narratif parfait pour jouer de la drôlerie par la réaffirmation de soi. La trame est maligne, en choisissant de se concentrer sur les douze ans de mandat présidentiel du mari (2005-2017), et de les condenser en quatre-vingt-dix minutes. 

Les références aux figures et événements réels amusent, jouent parfois l’émotion (la fille de l’ombre, Laurence), et le mélange épate entre images d’archives, reconstitutions et inserts d’interprètes dans de véritables documents, de Bernadette en Corrèze avec Hillary Clinton au lip sync hasardeux de Chirac sur les noms des footballeurs durant la Coupe du monde 1998. Cet écrin renforce l’incarnation évolutive et brillante de la fervente catholique Bernadette à qui Dieu a donné la foi (non non, pas Soubirous, qui a vu la Vierge, ni Ophélie Winter, à qui le film fait un clin d’œil hilarant) par Catherine Deneuve. Experte dans la nuance, la réserve, l’autorité, le sens savoureux de la dérision, l’actrice s’amuse, elle qui servit de modèle à un buste républicain de Marianne, et qui campa aussi bien une ex– maîtresse de président de la République (Le Bon Plaisir), que des têtes couronnées réelles (D’Artagnan, God Loves Caviar) ou inventées (Peau d’Âne, Le Petit Poucet, Palais royal !, Astérix & Obélix). En osmose avec sa réalisatrice, elle ne cherche pas le mimétisme, mais l’esprit d’un personnage, qu’elle trouve et transmet finement, avec une distribution intégralement excellente, de ténors (Podalydès, Vuillermoz, Giraudeau, Stocker) en confirmations (Maud Wyler, Scali Delpeyrat).