Playlist B.O. 2010 - 2019

Les compositeurs de la décennie

Pour faire le bilan de dix ans de bandes originales de films, nous avons choisi de distinguer dix compositeurs qui ont renouvelé la pratique de la musique de film, aussi bien dans sa nature que dans son approche aux images et aux récits qu’ils illustrent, tout en témoignant de la capacité à changer d’univers, de réalisateurs, et d’instruments.


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1 – Alexandre Desplat
Dans la playlist : The Ghost Writer / L’Île aux chiens

Alexandre Desplat est devenu en cette décennie passée le Français incontournable à l’international, avec en poche deux Oscars (The Grand Budapest Hotel et La Forme de l’eau), et deux rencontres déterminantes survenues à l’aube de ces dix années, tout en continuant auprès de Jacques Audiard, avec lequel il a débuté.
2010 marque sa rencontre avec Roman Polanski sur The Ghost Writer (ils ne se quitteront plus depuis jusqu’au récent J’accuse) et une partition trépidante marquée en son centre par un thème inoubliable dominé par les flûtes, augmentées d’un cor, d’une trompette, de percussions et de cordes. 
Toujours en 2010, son autre rencontre marquante est celle avec Wes Anderson sur Fantastic Mr Fox, puis Moonrise Kingdom jusqu’au récent L’Île aux chiens, avec une partition audacieuse, rythmique, basée sur la pulsation hypnotique de percussions, taiko, bassons et carillons, convoquant ainsi la musique traditionnelle japonaise justifiée par la géographie du film. 

2 – Mica Levi
Dans la playlist : Under the Skin / Jackie

Mica Levi, grande révélation de la décennie, a surpris tout le monde avec sa partition lancinante et inquiétante pour Under the Skin, soutenant avec un grand pouvoir énigmatique les errances de Scarlett Johansson dans ce film horrifique et expérimental de Jonathan Glazer. Étrangère au cinéma, cette DJ (Micachu) a su parfaitement se mettre au service du film en sortant de son territoire de confort. Elle aurait pu s’arrêter là ou bien répéter une formule qui a fonctionné, mais elle a confirmé son talent avec Jackie de Pablo Larrain dans un tout autre registre. Pour ce biopic historique retraçant la vie de Jackie Kennedy (Natalie Portman), elle a inventé un nouveau motif (aux cordes) qui laisse une empreinte durable. 

3- Michael Giacchino
Dans la playlist : La Planète des singes : suprématie / Coco

Michael Giacchino vient de la télévision, et a suivi J.J Abrams dans son passage du petit au grand écran (Super 8, Star Trek Into Darkness). Il est devenu en dix ans le meilleur compositeur hollywoodien, tout simplement, digne successeur de John Williams. Il a d’ailleurs mis en musique un épisode (parallèle) de Star Wars (Rogue One) ainsi que Jurassic World. Il est à l’aise autant dans les films de super-héros (Doctor Strange, Spider-Man : Homecoming) que dans les animations Pixar (et son Oscar pour Là-haut). Il est le meilleur, car il sait inventer de nouvelles idées (choix insolites d’instruments, des mélodies évidentes et des expérimentations sonores), malgré le cadre parfois étroit d’un blockbuster. 
Pour La Planète des singes : suprématie, il livre une partition magistrale qui repose sur un parfait dosage entre l’épique (orchestre et chœurs), l’intime (piano solo), des expériences tribales (percussions), des dissonances, des balades champêtres et une marche militaire (rappelant La Grande Évasion de Elmer Bernstein).
Pour Coco, il intègre à l’orchestre la guitare, l’accordéon, une flûte, et des percussions pour illustrer les aventures d’un jeune Mexicain fan de guitare. À côté de ce canevas folklorique, il préserve une certaine mélancolie pour soutenir le deuil du personnage. 

4- Jonny Greenwood
Dans la playlist : We Need to Talk about Kevin / Phantom Thread

Le membre du groupe Radiohead Jonny Greenwood a fait son apparition au cinéma en 2008 grâce à Paul Thomas Anderson sur There Will Be Blood. Ce qui aurait pu n’être qu’un one-shot s’est transformé dans cette décennie passée en confirmation de la naissance d’un véritable talent de la musique de film. Non seulement auprès de Paul Thomas Anderson (The Master, Phantom Thread), mais aussi de Lynne Ramsay (We Need to Talk about Kevin, A Beautiful Day), il parvient à laisser une marque forte sur les images, à la fois comme un récit parallèle par son approche hautement singulière, mais toujours intrinsèquement reliée aux émois des personnages. Pour We Need to Talk about Kevin, il emploie un pipa (instrument à cordes chinois) et une harpe celtique pour souligner la douleur de cette mère qui voit son enfant faire preuve de cruauté et d’irrespect à son égard. Pour Phantom Thread, il prolonge le tourbillon d’une histoire d’amour contrariée.

5 – Trent Reznor
Dans la playlist : The Social Network / 90’s

Le fondateur du groupe de rock industriel Nine Inch Nails a fait une entrée fracassante au cinéma en 2010 grâce à David Fincher pour The Social Network (un Oscar à la clef) et sa partition électronique rythmée qui illustre l’ascension du génie de l’informatique. Il renouvelle là l’approche électro du cinéma en y insufflant une dimension organique et mélancolique. Il retrouvera le cinéaste sur Millenium et Gone Girl. Par la suite, il poursuit sa carrière de compositeur de musique de film pour d’autres univers, notamment pour des séries comme Watchmen (actuellement sur OCS). Et en 2019, il signe (avec son acolyte Atticus Ross) la musique de la première réalisation de l’acteur Jonah Hill (90’s) avec une partition mélancolique et intime au piano (délaissant ses sophistications électroniques), dont la douceur des timbres pénètre l’âme candide d’un enfant. Il est délibérément devenu depuis dix ans un compositeur de cinéma sur lequel compter. 

6 – Cliff Martinez
Dans la playlist : Spring Breakers / The Neon Demon

C’est encore une fois auprès d’un musicien de scène que l’on trouve de belles surprises. Cliff Martinez, batteur des Red Hot Chili Peppers, n’était pas un inconnu au début de la décennie, puisqu’il accompagnait Steven Soderbergh (Sexe, Mensonges et Vidéo, Kafka, L’Anglais, Traffic, Solaris…), mais il a franchi un cap depuis Drive (2011), qui marque sa rencontre avec le Danois Nicolas Winding Refn (Only God Forgives). Avec lui, il signe des partitions monumentales, évoluant de la texture minimale de Drive jusqu’au baroque The Neon Demon (sous l’influence de Bernard Herrmann avec son motif obsédant), et la série radicale Too Old to Die Young. S’ajoute à la liste des cinéastes ayant fait appel à lui Harmony Korine sur Spring Breakers (2013) pour une aventure musicale qui met en transe et en lévitation. 

7 – Jóhann Jóhannsson
Dans la playlist : Premier Contact, Mandy

La carrière éclair de l’Islandais Jóhann Jóhannsson aura duré huit ans entre sa rencontre avec Denis Villeneuve (sur Prisoners, puis Sicario…) et sa disparition brutale survenue à 48 ans le 10 février 2018. Il laissera une trace durable grâce à Villeneuve qui lui a permis d’élaborer de véritables partitions de recherche sonore, instaurant des signaux musicaux en adéquation avec l’enjeu profond des images, comme dans Premier Contact (2016) et ses voix synthétiques marquant la présence extraterrestre. Sa dernière partition, Mandy, de Panos Cosmatos (présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2018) prolonge le voyage fantasmagorique mêlant la vengeance, le sang et le feu par de puissantes guitares saturées, des percussions lourdes, des ambiances lancinantes.

8 – Daniel Pemberton
Dans la playlist : Tout l’argent du monde / The Secret Man – Mark Felt

L’Anglais Daniel Pemberton est tout simplement né au cinéma au début de la décennie, en 2013, lorsque Ridley Scott lui confie la musique de Cartel. Depuis, en seulement six ans, il n’a cessé de nous surprendre, allant toujours dans une nouvelle direction, aussi bien lorsqu’il retrouve Scott sur Tout l’argent du monde (et des envolées opératiques), lorsqu’il signe Steve Jobs de Danny Boyle, ou Le Grand Jeu de Aaron Sorkin. Récemment, il a excellé dans le film noir Brooklyn Affairs de Edward Norton. En 2017, sur le biopic politique The Secret Man – Mark Felt, il propose un piano mélancolique, des cordes inquiétantes, des pulsations atonales, une ambiance thriller d’espionnage digne du David Shire de Conversation secrète.
Pemberton est la future belle promesse de la musique de film. 

9 – Béatrice Thiriet
Dans la playlist : Bird People / Corniche Kennedy

Béatrice Thiriet, rare femme dans le métier, a su s’imposer depuis les années 1990 grâce aux réalisatrices Pascale Ferran (Lady Chatterley) et Dominique Cabrera (De l’autre côté de la mer). Elle termine cette décennie avec éclat en retrouvant ces deux cinéastes au meilleur de sa forme. Pour Bird People de Ferran, elle fait le grand écart entre la forme synthétique froide de l’univers urbain, et la dimension plus orchestrale et ludique pour l’envol onirique. À la fois comique (le côté cartoon de l’extrême synchro), mélancolique, lyrique et étrange. Pour Corniche Kennedy, elle associe le jazz cuivré sensuel et léger, les cordes minimalistes envoûtantes, des sonorités électroniques, et même le hip-hop, pour le quotidien de ces jeunes Marseillais. 

10 – Bruno Coulais
Dans la playlist : Les Adieux à la reine / Le Chant de la mer

On ne présente plus Bruno Coulais, qui fut le compositeur français à succès dans les années 1990 (Microcosmos) et 2000 (Le Peuple migrateur, Les Choristes). Un peu à l’écart des grosses productions françaises depuis l’échec de Lucky Luke (James Huth), c’est là qu’il se révèle le meilleur, auprès d’un cinéma d’auteur exigeant. C’est surtout sa rencontre avec Benoît Jacquot en 2009 qui marque un tournant. Auprès de lui il fera ses plus belles partitions : Au fond des bois (2010), et surtout Les Adieux à la reine (2012), film historique en pleine Révolution française, qu’il transforme en film d’horreur avec son piano dissonant, ses couperets de cordes qui sont comme la lame d’une guillotine. Ils feront huit films ensemble jusqu’au récent Dernier Amour (et la présence d’un clavecin pour le personnage de Casanova). C’est aussi dans l’animation qu’il a marqué cette décennie. Cela a commencé un an plus tôt par un chef-d’œuvre, Coraline (2009) de Henry Selick. Grâce à ce succès critique, il a continué à illustrer les dessins les plus variés jusqu’au récent Drôles de petites bêtes (2017), auparavant avec Mune, le gardien de la lune (2015), et surtout auprès de l’Irlandais Tomm Moore sur Le Chant de la mer (2014), pour lequel il convoque des aspects celtiques tout en renouvelant son intérêt pour la voix humaine et les sonorités insolites.