Festival Play It Again 2023 : entretien avec Julie Bertuccelli

Portrait de femme(s)

Ce 13 septembre, jusqu’au 26, débute la 9e édition du Festival Play It Again, honorant des films du patrimoine partout en France. Au programme : un cycle sur les héroïnes, un focus sur Delphine Seyrig, Marguerite Duras et plusieurs événements. Parmi eux, la présentation dans plusieurs salles du documentaire Jane Campion, la femme cinéma, réalisé par Julie Bertuccelli. Conversation avec la cinéaste autour de son appétit de cinéma, de la programmation du Play It Again et, bien sûr, de Jane Campion.

 

Quelle cinéphile êtes-vous ?

Il se trouve que je suis tombée dans une famille d’amoureux du cinéma. Mon père était réalisateur et j’ai commencé assez tôt à aimer ça, à approcher les plateaux de tournage, c’était assez fascinant. Je regardais énormément de films. Dès l’adolescence, je me souviens de mes trajets en métro en allant au lycée, avec l’Officiel des Spectacles. Tous les mercredis matin, première heure, je le prenais et je barrais tous les films que j’avais vus et je faisais des petites croix sur tous ceux que je voulais voir. J’ai donc vu beaucoup de films avec une cinéphilie peut-être un peu particulière, pas encyclopédique.  Je ne cherchais pas à connaître les noms de tout le monde. D’ailleurs, je n’aime pas ces concours où il faut retrouver ce que tel acteur a fait en telle année. Ça m’ennuie. C’était juste un appétit d’histoires, de voyages, de mondes, j’avais envie d’explorer la vie par le cinéma.

Comment liez-vous la cinéphilie et la mémoire ? Gardez-vous une trace des films vus ?

Enfant et adolescente, je faisais beaucoup de listes, mais, en fait, la mémoire est très visuelle chez moi. Je suis une grande fan de la vidéo, des DVD et Blu-ray et j’ai besoin de les voir, sur mes étagères, plutôt que de regarder des listes. Les DVDs, ce sont quand même les seuls objets qui permettent de voir les films quand on veut et tout le temps. Il faut que je puisse avoir tous les films que j’ai aimés sous la main. Même si je ne les regarderai peut-être pas, j’aime me dire que je peux les revoir un soir ou les montrer à mes enfants.

Le festival met à l’honneur les héroïnes au cinéma. Est-ce qu’il y en a certaines qui ont été importantes pour vous ?

Il y a en a tellement. C’est toujours par le biais des héroïnes que j’ai aimé le cinéma. Je cherchais ça. Étant une femme, je regardais comment elles vivaient, la manière dont on les traitait, les aventures qui leur arrivaient … Ça a toujours été un vecteur d’identification et de projection qui m’a beaucoup nourrie. Les films de John Cassavetes, de Woody Allen, de Wim Wenders, ce ne sont que des héroïnes, ce sont toujours les femmes qui m’intéressent. Je repense aussi à Persona et tous ces films suédois, où les femmes étaient très présentes. S’il y avait peu de réalisatrices (Varda, Campion, bien sûr), j’ai, en revanche, grandi avec énormément de rôles féminins, mais toujours avec un regard très masculin. Ces femmes étaient regardées par des hommes. Je crois que, très jeune, j’en avais déjà conscience. Ça m’aidait à mieux comprendre comment les femmes étaient traitées dans le monde, car dans les films, la manière dont elles étaient regardées était très particulière.

Vous venez de consacrer un documentaire à Jane Campion. Est-ce que vous la définiriez comme une héroïne ?

Totalement. J’étais aussi très intéressée par sa vie. L’équilibre qu’elle fait entre le personnel et son travail. Ayant élevé mes trois enfants un peu toute seule, ça m’a beaucoup parlé. Elle a ce rapport à la vie, à son enfant. Pour moi, c’est une réalisatrice qui parle de choses très intimes, qui la touchent personnellement. J’ai l’impression qu’il y a plein de réalisateurs qui font des films, mais qui pourraient en faire 150 autres, comme si ça ne les touchait pas vraiment. Il y en avait beaucoup dans les années 1980 avec des comédies un peu bourgeoises, par exemple. Et au contraire, dans le cinéma de Jane Campion, on voit quelqu’un qui raconte sa manière de vivre le monde.

Et puis, c‘est une héroïne, car elle a fait des portraits de femmes merveilleux. Pas des mannequins glacés et toutes parfaites, mais des femmes qui bataillent contre leurs démons, leur fragilité. On apprend de leur parcours difficile, et de cette manière dont elles deviennent plus fortes, de par les drames qu’elles traversent.

C’est aussi une héroïne politique, avec la place qu’elle a su gagner dans le cinéma : d’avoir été miraculeusement, pendant si longtemps, la seule à avoir eu cette Palme d’or, hélas. Elle a incarné cette figure d’espoir et grâce à elle, on a pu se dire qu’on pouvait y arriver.

Le festival met à l’honneur Delphine Seyrig et Marguerite Duras. Que représentent ces deux femmes pour vous ?

Les deux sont très marquantes. Marguerite Duras, son écriture a été très forte pour moi, durant toutes mes études littéraires notamment. Et ses films ont marqué quelque chose, de l’ordre de la recherche, qui a été hyper impressionnant quand je les ai découverts, adolescente et jeune adulte. Je me suis dit que le cinéma pouvait avoir cette ampleur narrative qui m’a passionnée.

Et Delphine Seyrig, c’est toute mon enfance, et mon côté militante aussi. Je suis née en 1968, ma mère était une femme très engagée, élevant ses enfants toute seule aussi … Et Seyrig incarne ça pour moi. En écho à tout ça, j’ai ce souvenir du film de Varda, L’une chante, l’autre pas, un véritable choc. Comme en découvrant La Maman et la Putain, je n’ai plus dormi de la nuit après l’avoir vu. Il y a des paroles, des manières de parler de la vie, des choses qui m’ont fait avancer et grandir. C’est plus que du cinéma. Les rapports humains, la liberté, être amoureuse, le travail, l’indépendance … C’est fort comme découverte. Après, la réception des films change aussi selon l’âge où on les reçoit. C’est pour ça qu’il faut les revoir sans arrêt !

Une question rituelle à Bande à part pour conclure : qu’est-ce que la grâce pour vous ?

C’est ce qu’on recherche toujours. Un mélange entre de l’imprévu qu’on a espéré et un alignement des planètes d’un moment où tout s’est épanoui. C’est quelque chose qui est dans l’émotion pure, qu’on ne peut pas vraiment définir. J’ai beaucoup de souvenirs de moments de grâce comme voir Charlotte Gainsbourg (ndlr : actrice dans son film L’Arbre, 2010) jouer de manière éblouissante par exemple, mais j’en vis aussi avec mes enfants. Tous ces petits riens de la vie qu’on n’oubliera jamais. La grâce est dans notre rétine pour toujours. Ce n’est pas intellectuel, et ce n’est pas une chose que l’on a déjà rencontrée, c’est assez nouveau. On l’a espérée, mais c’est encore autre chose qui est arrivé. On ne la maîtrise pas.

C’est peut-être mon grand plaisir en tournage, qui vaut pour toutes les journées où on pleure parce qu’on a raté et que c’est laborieux avec les acteurs, l’équipe…  Ces moments comme ça, où on est tous à se regarder en se disant : “Waouh, on vient de vivre un moment de grâce absolu”.