Chroniques de Téhéran d’Ali Asgari et Alireza Khatami

Abus de pouvoir

État des lieux de l’Iran d’aujourd’hui, Chroniques de Téhéran met en scène neuf personnages aux prises avec des petits chefs insupportables.

Immeubles et grues, ciel et terre. Le film s’ouvre sur une vue de Téhéran la nuit. La lumière point peu à peu, les bruits de la ville se font entendre. C’est le matin. Le titre apparaît. Face caméra, s’adressant à un personnage qu’on ne voit jamais, chaque personnage nous regarde droit dans les yeux. Et nous place aux côtés, voire dans les chaussures, de leur interlocuteur. Serait-ce nous, complices silencieux, qui demandons ou décrétons ces choses invraisemblables ?

À un père venu déclarer son enfant, le fonctionnaire répond qu’il ne peut pas l’appeler David, qu’il doit choisir un beau nom iranien. À une mère en train d’acheter la tenue réglementaire demandée par l’école pour sa fille de dix ans – tandis que celle-ci danse devant le miroir en T-shirt Mickey -, la vendeuse tente de fourguer une panoplie complète, couvrante et entravante… Une cage. À un homme convoqué pour retirer son permis, le préposé pose des questions intrusives, jusqu’à lui demander de se déshabiller et de montrer ses tatouages…

Ce sont neuf scènes, neuf tranches de vie, où quatre femmes, quatre hommes et une enfant se retrouvent confrontés à l’abus de pouvoir en vigueur dans le régime totalitaire en place. Ça frise la caricature, et pourtant, le spectateur sent bien que la vérité est là. Ces histoires, ces chroniques, sentent le vécu. Grâce au dispositif, à la fois très simple et très cinématographique – maintenir les inquisiteurs et autres tortionnaires, fussent-ils verbaux, hors champ et nous laisser face à ces gens affrontant l’inimaginable -, le film est d’une force incroyable. C’est aussi parce que chaque acteur, isolé dans sa scène, ignorait tout de ce que tournaient les autres, que Chroniques de Téhéran a pu se fabriquer.  Et être sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, puis dans d’autres festivals dans le monde. Puis, enfin, arriver aujourd’hui sur nos écrans. Une telle adéquation entre le fond, la forme, et la condition sine qua non pour exister, chavire. Et fait naître en nous une saine colère.