Festival du Film de Sarlat 2023

Jour#3 : Erwan Le Duc et Maud Wyler dans la place

Sarlat a accueilli Erwan Le Duc et Maud Wyler, pour présenter en avant-première La Fille de son père, chronique d’un duo familial libre et lumineux. Le premier est en est le scénariste et réalisateur ; la seconde, l’une des interprètes, dans la peau de la belle(-mère) Hélène, aux côtés de Nahuel Pérez Biscayart et Céleste Brunnquell. Ce couple à la ville continue de creuser sa collaboration féconde, depuis les courts-métrages Jamais jamais (2014), Miaou miaou fourrure (2015), Le Soldat vierge (2016), et le premier long-métrage Perdrix (2019). Tous deux ont vécu une riche année ; lui, avec La Fille de son père et avec la série télévisée Sous contrôle ; elle, avec la sortie consécutive de Toi non plus tu n’as rien vu, Sur la branche, La Voie royale, La Petite, Bernadette et La Fille de son père. Rencontre idéale pour évoquer leur expérience en commun.

TRAVAILLER ENSEMBLE

Maud Wyler : «  Nous avons commencé par travailler ensemble, avant d’être ensemble. Et je crois que sur le plateau, c’est le travail qui l’emporte, en tout cas pour ma part. »

Erwan Le Duc : « Nous avons une même exigence et un même respect du film. J’ai l’impression que le travail pour nous, c’est presque de faire attention au couple malgré le travail et au-delà. De ne pas oublier qu’on va se retrouver le soir ! Sur Miaou miaou fourrure, premier court-métrage sur lequel nous étions en couple, je pouvais avoir des réactions beaucoup plus sèches et spontanées avec Maud qu’avec d’autres comédiens. J’oubliais qu’on était sur un plateau avec une équipe. Elle m’a repris et je me suis rendu compte à quel point il fallait que je fasse attention à ne pas mettre trop de familiarité à un endroit de travail. »

APPRENDRE L’UN DE L’AUTRE

Erwan Le Duc : « Le cinéma est très important dans notre vie, on en parle beaucoup. J’ai énormément appris sur le métier de comédien et de comédienne en observant Maud travailler, préparer ses rôles, sur un plateau, et en conversant ensemble. L’échange est très précieux. Sur un plateau, elle sait aussi me relayer des inquiétudes que peuvent avoir ses partenaires. Cela me permet d’être un peu moins naïf, sourd, aveugle, et de sortir de mes préoccupations ».

Maud Wyler : « Voir Erwan préparer ses projets, se poser la question des financements, auxquels une actrice ne participe pas, m’a permis de me poser la question du cinéma indépendant, de comment un film se monte, comment fonctionnent les castings, les mots d’ordre, les règles du jeu, et comment un créateur retrouve sa liberté. Il y a des choses très triviales et peu artistiques dans le processus de fabrication. En vivant avec Erwan, j’ai aussi dédramatisé quand je n’étais pas choisie sur un projet, en n’en faisant pas une affaire personnelle, et en me rendant compte que c’était pour d’autres questions, notamment de production. Cela m’a permis de faire la part des choses et de tenir bon ».

L’ÉCRITURE

Erwan Le Duc : « Maud peut influencer mon écriture sans le savoir. Je suis assez poreux à ce qui m’entoure, surtout quand j’écris ou que je réfléchis . Mon cercle le plus intime va se retrouver dans mes scénarios, que ce soit pour des lignes de dialogues ou pour des idées de personnages, de scènes, des choses vues ou vécues que je retranscris. Puis je lui fais lire une première version, moment assez terrifiant pour moi, parce que ça fait toujours peur. Maud est ma première lectrice, et elle a une lecture d’une grande exigence. Mais cette exigence me remet chaque fois au travail. De nombreuses scènes de La Fille de son père ont évolué grâce à ses retours. C’était pareil pour Perdrix, voire encore plus important. Il y a véritablement une part de création ensemble, liée aux idées qu’elle lance, que je ne prends pas toujours, mais qui me font rebondir pour aller ailleurs. C’est très important. Puis sur le plateau, elle invente énormément et je le lui demande aussi. C’est à moi d’être exigeant et d’attendre une transfiguration, que j’espère en recommençant les prises. Le métier d’acteur est quelque chose de merveilleux. »

Maud Wyler signe des autographes. Copyright Charlotte Mano / Festival de Sarlat. D.R.

 

FAIRE LE MÉTIER DE L’AUTRE ?

Maud Wyler : « Je mesure quel travail c’est que d’écrire et de réaliser ! J’aime beaucoup jouer et j’ai l’impression que je n’aurai jamais terminé d’apprendre, de me remettre en question, et de chercher dans cet espace-là. J’ai aussi une grande admiration pour le travail de mise en scène. Je ne me sens pas du tout d’avoir les épaules ni l’inventivité, ni de réussir à dézoomer sur mon appétit du jeu. Je suis vraiment dans l’instant et je ne sais pas ce qui va se passer après. Pour moi, la place du metteur en scène suppose de faire des va-et-vient, de l’histoire racontée à la prévision du montage, et donc de savoir. Or, j’aime ne pas savoir. »

Erwan Le Duc : «  Quant à moi, je n’ai ni le talent, ni l’appétit, ni le courage de jouer. J’ai tenu un petit rôle dans Le lion est mort ce soir de Nobuhiro Suwa, qui aime s’inspirer de la vie réelle et m’a appelé, car le personnage de Maud avait un copain. Il m’a dit : « Tu n’as qu’à le jouer puisque tu es son copain dans la vie ». J’étais mort de trouille, d’autant plus que c’était de l’improvisation, qu’il n’y avait pas de dialogues et qu’il fallait tout inventer. J’ai dit oui parce qu’il y avait Jean-Pierre Léaud, et avoir mon nom au générique d’un film avec lui était suffisant !Je me suis retrouvé à tourner trois-quatre jours, et tout a été coupé ! Suwa m’a évidemment dit que c’était super, mais je ne suis plus dans le film, ce qui me va très bien, et mon nom est resté au générique, donc j’ai eu ce que je voulais ! »

LA BELLE ANNÉE 2023

Erwan Le Duc : « 2023 a été une année très riche, avec beaucoup d’extrêmes et de sentiments dans tous les sens. Elle va se terminer avec la sortie en salle de La Fille de son père, que j’espère un moment de joie, comme jusqu’à présent. La rencontre avec le public dans les festivals est très heureuse. C’est vrai qu’ensuite, le départ de la nouvelle année va être étrange. Je suis déjà dans la sortie du film, mais quand même en train de réfléchir au suivant, et de me projeter dans autre chose. Je me demande de quoi j’ai envie et ce que je veux raconter. Hâte de la sortie du film et hâte d’en préparer un autre. »

Maud Wyler : « Ce qui est tellement joyeux dans ce métier, c’est d’aller à la rencontre d’univers. Je l’ai vécu cette année avec des cinéastes, des écritures et des genres vraiment différents. C’est un luxe inouï de pouvoir apprendre des choses à chaque fois. Je ne sais jamais d’emblée comment je vais faire, et j’aime ça. J’ai cet appétit du moment. Parfois, ce métier nous fait aller dans tous les sens en tant qu’actrice, parce que les coulisses et le marché de l’acteur peuvent prendre la tête. Mais finir par partager un travail avec le public, et ce film avec Erwan, donne absolument un sens à mon parcours. »