Le Paradis de Zeno Graton

Les petits voleurs

Comment s’aimer quand on est sous les barreaux et qu’on est ado ? Le premier long-métrage de Zeno Graton réussit à faire exister l’impossible, entre enfermement et désir de liberté. Avec acuité et générosité.

Le cinéma de Zeno Graton travaille l’émancipation de la jeunesse masculine. Dans son court-métrage Jay parmi les hommes (2015), le protagoniste de quatorze ans cherche tellement l’attention et l’amour de son père, qu’il veut à tout prix prouver qu’il a une copine et qu’il est un « vrai » mec, alors qu’il est encore un gosse. Dans Le Paradis, son premier long, le réalisateur filme cette fois une histoire d’amour entre deux garçons de dix-sept ans, dans un centre fermé pour mineurs délinquants. Chaque fois, le vase clos d’hommes entre eux, là le chantier naval du paternel, ici une prison juvénile. Dans un monde hérité du patriarcat aux injonctions aliénantes, les êtres en devenir poussent comme ils peuvent. Comme ils veulent aussi, car, sans uniquement subir, ils avancent, tentent, se brûlent, pour au final éprouver et vivre.

Le Paradis de Zeno Graton. Copyright Berlinale / Rezo Films.

Le mérite du cinéaste belge est de déjouer le film à dossier programmatique, qui a inondé tant de récits. L’évidence s’impose : deux ados s’attirent et assument, malgré les murs, les barreaux et les empêchements. Leur lien va même conditionner leur comportement et l’issue de leur réunion physique. Les détenus d’Un chant d’amour, le court-métrage de Jean Genet (1950), revus à l’ère du XXIe siècle, ne sont donc plus seulement des objets et sujets de fantasmes sexuels. Et ils n’ont plus besoin d’un trou dans un mur. Ils sont devenus des individus qui vibrent et consomment, même quand l’entourage les voit et comprend. La mise en scène accompagne cette révélation par ses mouvements de caméra fluides et assurés. La scénographie aussi, de couloirs en cellules individuelles, de jardins en cours, d’atelier de soudure en abords de grilles.

La maîtrise de son sujet, de son regard et de sa forme donne de l’assise à ce premier long. La confiance dans ses personnages aussi, car l’avancée de l’intrigue dépend de leurs actes, et de cet espace qui s’ouvre à eux. C’est celui de l’amour, qui s’épanouira après le film, comme dans le court de fin d’études de Zeno Graton, Les Mouettes, où un duo de comédiens épris va s’aimer librement hors champ, à l’issue du récit. Idéaliste concret, le réalisateur se sert de son médium pour donner à voir le champ des possibles, en transformant l’entrave en force motrice. Et pour épanouir son désir de cinéma, il accompagne des acteurs habités, en plein devenir : Khalil Gharbia qui, d’objet du désir détaché du Peter von Kant de François Ozon, devient ici actant affirmé, et Julien de Saint Jean, vu récemment en crush d’antan dans Arrête avec tes mensonges d’Olivier Peyon, entourés par l’énergie ancrée d’Eye Haïdara et Jonathan Couzinié.