NIFFF 2023 : Female Trouble & Cie.

À Neuchâtel du 30 juin au 8 juillet 2023

Pouvoir de la suggestion ? La rétrospective Female Trouble de la 22e édition du NIFFF, semble avoir pollinisé toutes les autres sections du festival — jusqu’à se retrouver tout en haut du palmarès, via Tiger Stripes.

Compétition internationale, Asian compétition, Third Kind, Ultra movies, Amazing Switzerland, focus et cartes blanches : chaque année, le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) multiplie les propositions ; chaque année aussi, il concocte, en sus, une rétrospective dense et bien pensée. Cru 2023 (après Sream Queer l’an passé, sur les représentations LGBTQIA+ dans le cinéma fantastique) : Female Trouble. Soit une vingtaine de films issus de diverses contrées et époques, tous consacrés à des femmes qui sortent du rang, plus ou moins violemment.

Évidemment, si l’on énonce Female Trouble, on pense illico au film éponyme réalisé par John Waters en 1974. À tout seigneur, tout honneur : le Pape du Trash figurait bien dans la sélection, mais avec Serial Mom (1994). Rayon valeurs sûres, il y avait aussi Aliens, le retour (James Cameron, 1986), La Féline (Jacques Tourneur, 1942), Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940), Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991), Possession (Andrzej Zulawski, 1981)… Autant de classiques, pas forcément vus sur grand écran par les plus jeunes, alors bravo. Mais même pour celles-ceux qui ont plus de bouteille, il y avait matière à !

Fleurs piquantes / Attention aux plantes

Il y a, ainsi, des films dont on entend parler depuis longtemps, qu’on guette un peu mollement et qui nous cueillent dès les premières minutes, le moment venu : découvrir Les Petites Marguerites (Vera Chytilova, 1966) en salle, quel plaisir ! Alors bien sûr, en guettant un peu moins mollement, il eut été possible de visionner les aventures déjantées de ces deux fofolles anarchisantes sur Arte… Avis aux curieux, le film est disponible sur la plateforme de la chaîne jusqu’au 17 août 2023. Mais qui dit festival, dit expériences partagées et cela fait souvent une grande différence : les œuvres difficiles à apprécier seul dans son coin s’y épanouissent.

C’est par exemple le cas pour Filibus (Mario Roncoroni, 1915), film muet réjouissant — quoique peut-être davantage sur son principe que sur la durée. Il met en scène une femme de la haute société, transformiste et voleuse, dont le QG se situe dans un dirigeable caché au-dessus des nuages. Soulignons à nouveau la date de sortie de cette curiosité culottée : 1915 ! Plusieurs courts-métrages de la même époque, estampillés Nasty Women, complétaient certaines séances, et là aussi l’audace et l’imagination étaient au rendez-vous : avant de devenir, majoritairement et pendant longtemps, les faire-valoir de ces messieurs, les femmes des débuts du cinéma n’étaient pas que des belles plantes.

Deux minutes de battement

L’influence féminine se fait moins sentir sur l’un des films les plus attendus de cette édition, River, du Japonais Yamaguchi Junta. C’est néanmoins un personnage féminin qui sert ici de pivot à cette nouvelle boucle temporelle. Dans Beyond the Infinite Two Minutes (2020), le réalisateur mettait déjà un groupe de protagonistes dans une problématique succession de retours en arrière, qui se répétaient toutes les deux minutes. Le vain exercice de style redouté s’avérait en fait extraordinairement ludique et tenu de bout en bout. Le principe reste le même dans River, mais cette fois avec un peu plus d’argent (visuellement, ça pique moins les yeux) et de simplicité : toujours aussi drôle et stimulant pour l’esprit, mais aussi plus doux et empathique. Si ce chouchou avait été en compétition, il serait peut-être reparti avec des lauriers…

En l’occurrence, c’est le sauvage Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu qui s’est hissé en tête du palmarès. Dans ce premier long-métrage, la réalisatrice malaisienne s’est souvenue des affres de sa puberté. Son héroïne de 12 ans, épatante Zafreen Zairizal, s’y débarrasse de son voile et sort les griffes. Déjà distingué à Cannes cette année par le Grand Prix de la Semaine de la Critique, Tiger Stripes est annoncé en salle le 13 mars 2024.

L’autre film à s’être taillé la part du lion est Raging Grace (Paris Zarcilla), avec les prix du public, de la jeunesse et de la critique. Là aussi, récit au féminin : Joy, d’origine philippine, fait montre d’une ingéniosité à toute épreuve pour subvenir aux besoins de sa fille, Grace — trouver un toit pour la nuit, enchaîner les ménages, économiser un peu d’argent pour des faux papiers. Et puis un beau jour, la chance lui sourit : sur un malentendu, Joy est embauchée dans la grande demeure d’un vieux monsieur agonisant. Mais la farceuse Grace, loin des canons de l’enfant modèle, y glisse son grain de sel.

Josiane Balasko ?

Femal Trouble encore et toujours : le jury qui a décerné ces jolis prix était, logiquement, présidé par une femme. Josiane Balasko. Alors oui, de prime abord, cela paraissait incongru… Mais souvenons-nous que dans le domaine du fantastique, Josiane Balasko a réalisé Ma vie est un enfer (1991) et qu’elle est l’autrice du recueil de nouvelles Jamaiplu (Editions Pygmalion, 2019) — un titre en référence à Poe, pour des histoires bien troussées où les hommages sont présents sans être envahissants.

Elle était secondée dans sa tâche par la réalisatrice Veronika Franz, les réalisateurs John McTiernan et Olivier Babinet, ainsi que l’auteur de bande dessinée Charles Burns. Et comme d’habitude, ce beau monde a évolué en toute proximité avec le public, au cœur de la jolie ville de Neuchâtel, légitimement fière d’un festival qui fourbit déjà ses armes pour sa 23e édition !