Festival de Cannes 2023 #J9 - Mercredi 24 mai

Ingrid, ce n’est qu’un film !

Aujourd’hui, la Warner fête ses 100 ans. Moi-même, j’ai 190 ans et je n’en fais pas tout un fromage.

Dans quel film avons-nous donc entendu cette phrase : « Rendez vous, vous êtes cerné ! », blague d’une jeune fille qui tombe à plat (la blague, pas la jeune fille) à l’égard d’un jeune homme arborant de magnifiques poches sous les yeux ? C’est de circonstance, ce pourrait être une citation du jour, de tous les jours… Palanquée de stars hier soir sur les marches pour la présentation en compétition d’Asteroïd City de Wes Anderson. Le cast est arrivé en bas des marches en autobus ! Ce n’est pas une image, mais ça en fait une bien belle pour les photographes. Scarlett Johansson, Jason Schwartzman, Tom Hanks, Bryan Cranston (Breaking Bad), Adrien Brody, Rupert Friend (Homeland), entre autres, ont donc fait le show hier. Habitué de Cannes, Anderson est le seul metteur en scène à avoir été deux années consécutives en compétition avec le même film, The French Dispatch : en 2020 (édition annulée pour cause de COVID, mais liste de films bel et bien établie) et en 2021. On voit par là que le garçon a la cote. Et le film dans tout ça ? Euh… Très cadré, très pop, fourmillant d’apparitions d’actrices et d’acteurs qu’on n’a parfois pas du tout le temps de reconnaître, il se passe dans les années 1950 et une petite ville désertique, où se tient un concours scientifique pour ados surdoués entourés de leurs parents. C’est beau, il y a des trains, des Cadillac, un snack, une station-service, et des tas d’autres choses. Comme une maquette grandeur nature, dans laquelle ce grand gamin d’Anderson s’amuse avec tous ses copains comme s’ils étaient des figurines. On aimerait bien participer, jouer un peu avec eux, rire aussi, mais non… Tout ce tohu-bohu pour rien frise l’entre-soi et l’entourloupe. Mais il faut savoir raison et bonne humeur garder. Après tout, comme disait Alfred Hitchcock à Ingrid Bergman perdue et inquiète sur le tournage des Amants du Capricorne (1949) : « Ingrid, ce n’est qu’un film. »

Hier également, soirée Caméra d’or, avec les concurrents de cette année sur les marches et le Jury présidé par Anaïs Demoustier au grand complet : Raphaël Personnaz, Nathalie Durand, Mikael Buch, Sophie Frilley, Nicolas Marcadé. Toutes sections confondues, il y a 21 films. C’est peu, comparé à certaines années qui culminaient à trente longs-métrages. L’un d’eux, Banel et Adama est présenté en compétition, ce qui est assez rare pour le souligner. Ça arrive, bien sûr. Je me souviens d’un certain Steven Soderbergh, 26 ans, qui présenta en 1989 au Festival de Cannes son premier long-métrage, Sexe, mensonges et vidéo, et ne remporta pas la Caméra d’or… mais la Palme ! Signé par la jeune Ramata-Toulaye Sy, Franco-Sénégalaise de 36 ans, Banel et Adama est un conte fiévreux et ensoleillé situé dans un village reculé du Sénégal, où rôde le mal et pèsent les traditions. Adama est le jeune frère de l’homme qui a épousé Banel. À la mort de son aîné, la coutume veut qu’Adama se marie avec Banel, or ils s’aiment depuis leur plus jeune âge : leur bonheur est entier. Le film débute là, dans cette fusion permanente et pétrie d’enfance de deux êtres. Mais la sécheresse et famine mettent à mal leur quotidien, d’autant qu’Adama est appelé à devenir chef du village. Un film imparfait, mais fervent et beau, incarné par une actrice et un acteur puissants : Khady Mane et Mamadou Diallo. Un sérieux candidat pour la Caméra d’or. 

Le cinéma italien est présent cette année avec deux vétérans, deux de ses représentants les plus aimés et les plus connus, Marco Bellocchio et Nanni Moretti. Le second présentera ce soir son dernier opus, tandis que le réalisateur du Traître et de la magnifique série sur Aldo Moro, Esterno notte, nous offrait hier Rapito/L’Enlèvement, minutieuse et splendide reconstitution d’une affaire peu connue, un fait divers religieux advenu à Bologne en 1858. Où l’on découvre, à travers l’histoire d’Edgardo Mortara, petit garçon de six ans enlevé de force à sa famille juive sur ordre du pape Pie IX. Et ce sous prétexte qu’il a été baptisé par une servante chrétienne lorsqu’il était malade à six mois et que celle-ci craignait qu’il meure et finisse dans les limbes. De la foi à l’obscurantisme en passant par la barbarie, le réalisateur de 83 ans livre une chronique familiale et judiciaire (le dernier tiers est consacré au procès du Grand Inquisiteur de Bologne) qui, sous des dehors classiques, déploie une énergie iconoclaste qui frise le baroque (animation de dessins satiriques ou descente de croix du Christ). On y voit des merveilles de plans en clair-obscur dignes des tableaux du Caravage et on en sort tout envahi d’une saine colère.