Exposition

Tout sur Robert (Guédiguian)

À Marseille, Robert Guédiguian fête ses soixante-dix ans et plus de quarante ans de cinéma de liberté, d’égalité et de fraternité. À la Friche La Belle de Mai, jusqu’au 14 janvier 2024, l’exposition « Avec le cœur conscient » explore son œuvre filmique, et sous la pellicule sensible, l’intime histoire d’un doux humaniste militant.

La forteresse insulaire du château d’If devant elle, Marseille étend son urbanité le long d’une mer redessinée en pointillé, dominée par la farandole des collines dans le lointain. Le nom de Robert Guédiguian s’y inscrit en lettres noires, mêlé à son mantra d’un rouge communiste, comme un graffiti revendicatif sur un mur : « Avec le cœur conscient ». 

Belle affiche et joli titre pour une rétrospective.  » Le cinéma doit être fait avec le cœur et la conscience simultanément. C’est une émotion qui doit provoquer de l’intelligence ! », commentait Robert Guédiguian en préambule à la toute première visite, par un beau matin d’automne marseillais, dans les étages hauts de la tour de la Friche La Belle de Mai. Sans cette exigence minimale, il est impossible à Robert Guédiguian de vivre et de filmer.

Exposition Robert Guédiguian

Le cœur conscient est un parfait exorde à ce voyage rétrospectif, et tout aussi bien, introspectif, en « Guédiguianie », le monde cinématographique de Robert de l’Estaque, aux vingt-trois ouvrages – le vingt-quatrième long-métrage du réalisateur marseillais, La Pie voleuse, est déjà tourné, pas encore sorti. La traversée de ses films, leur conscience, expose l’aventure d’un homme au cœur ouvert. « Je suis bien vivant ! C’est assez amusant d’être muséalisé », dit-il.

Dans le montage d’extraits tirés de ses films, Robert Guédiguian a vu surgir « presque comme une révélation de ce qui parcourt l’œuvre. » Le regard sur soi comme un regard en soi. Cette révélation est due au beau travail de la commissaire principale de l’exposition, Isabelle Danel, critique à BANDE À PART, auteure de Conversation avec Robert Guédiguian (Carnets de l’Info, 2009). Sa mise en lumière subtile d’une œuvre populaire à la ligne claire manifeste l’activité puissante d’un art social dressé contre la passivité impuissante, avec un idéalisme qui s’est émoussé avec le temps, des rêves poussés par une mélancolique lucidité quand les utopies sont tombées. Transformer le monde, changer la vie, comment faire ? « Regarder le monde tel qu’il est, regarder le monde tel qu’il pourrait être : sur ces deux axes se déploie le cinéma de Robert Guédiguian ».

Exposition Robert Guédiguian

Isabelle Danel suggère de regarder chacun des films de Robert Guédiguian « comme le fragment d’un seul et même grand film ». Elle assemble ici les éléments de l’unique projet de toute une vie, ce qui détermine le cinéaste, l’anime et le fait agir, les valeurs de justice, de dignité et de solidarité, le souci du grand petit peuple, l’engagement politique à gauche, l’élan humaniste partagé avec sa tribu d’acteurs, sa famille, son collectif de longue date – Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jacques Boudet, Simon Abkarian – , dont le cercle s’est élargi à Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Lola Naymark, Alicia Da Luz Gomes.

Avec l’appui du scénographe Sylvain Massot, Isabelle Danel opère par un découpage en cinq chapitres le démontage de « ce grand film, ce grand tout », au moyen d’installations vidéo, de photographies, d’archives personnelles, de scénarios manuscrits, de story-boards, de dessins de costumes, d’éléments de décor, d’objets, des claps, une enseigne lumineuse, des petits tableaux, même la moto de Robert Guédiguian qui a servi dans Twist à Bamako (2021)… Voici l’Estaque pour port d’attache, Marseille et la Bonne Mère, les paysages de la mer, les bateaux, la lumière. Voici le monde ouvrier, le mouvement communiste, les luttes, les quartiers, les bistrots de la vie. Voici l’Arménie, le pays perdu. Et voici l’amour et toutes ses générations.

Le hors-champ de l’homme Guédiguian s’installe plein cadre dans le champ du cinéaste Guédiguian. Et il n’y a pas de monde parallèle au monde dans ce cinéma si personnel, si parfaitement universel. Le grand film et ses fictions font toujours avec le réel, jamais contre lui. Avec le cœur toujours conscient.

 

Jo Fishley