Dans la maison de sa tante et du réel, Michel Gondry rembobine un épisode de sa vie de cinéaste et étire les souvenirs d’une fin de tournage échevelée.
Dans les Cévennes, la maison de la tante Denise (Françoise Lebrun, cœur patient) déborde d’idées folles et d’objets de bricole. Une maison vraie, très ancien refuge de Michel Gondry, ouverte comme une boîte à idées vivantes: « Je connais la maison par cœur depuis soixante ans. Je suis attaché à sa texture visuelle. Quand on monte les escaliers pour aller à l’étage, les nœuds du bois sont comme des yeux qui nous regardent. Je connais tous les espaces et les murs, habités par des cadres et des choses. Ce fut une incroyable expérience de refaire une action qui s’est passée dans le même endroit. »
Faire un film est une joie et une souffrance. Finir un film, sans le sou, oblige les méninges à filer un coup de main. On fait comment, avec trop peu ? La boîte à idées, éclairées ou non, s’élabore, amenant ses solutions en même temps qu’un semblant d’ordre au désordre existentiel du créateur, au bord du gouffre des angoisses du vide. Elle donne son joli titre au film. Le Livre des solutions est un scénario vivant, une histoire vécue. Ceci est une autofiction. À l’écran, c’est Pierre Niney. Dans la vie, Michel Gondry donc. Le cinéaste a trouvé le parfait avatar avec son comédien, fait pour les pas de côté, les absurdités, les irréalités, les transports fictionnels comme les récits inspirés d’histoires vraies. Pierre Niney embrasse les émotions sensibles, olibrius à la fantaisie inspirée. Le corps suit la tête, dans un mouvement synchronique. Son corps dirige même un orchestre. Le corps fait le chef.
La maison a accompagné Pierre Niney, l’aidant à incorporer le rôle, littéralement; « Ce n’était pas un décor que l’on monte et remonte. Il y avait vraiment des objets qui étaient à Michel dans la chambre : des dessins, des carnets, des rubans adhésifs, des stylos, des tonnes de choses. En sortant de ce tournage, je me suis même dit qu’il fallait que je fasse plus de bricolages et de dessins avec mes filles, et je suis allé acheter plein de stylos et de feuilles. C’est tellement humain de laisser des traces, non pas pour la postérité, mais pour pouvoir écrire ou coucher ce que l’on a dans la tête sur le papier. Et le do it yourself est la marque de fabrique de Michel. »
Michel Gondry a toujours été un fabricant de choses, un machineur d’inventions. Tout se transforme, donc tout se crée. D’ailleurs, le voilà à bord d’un véhicule de cinéma, une salle de montage de voyage : le « camiontage » que l’on voit dans Le Livre des solutions mériterait de remporter le Concours Lépine de la plus géniale des trouvailles. Il stationne du côté de la poétisation, par essence transfiguration du réel et du trivial.
Le camiontage est l’œuvre d’un intranquille (Pierre Niney, génialement borderline débordant). Le créateur est en création, essorant sa tête en pleine tempête, pour en sortir un jus de crâne fécond. Le metteur en scène travaille, réfléchit, imagine, se projette, invente, dessine, et s’épuise dans la même mouvement. Dans son cerveau, toutes ces opérations sont simultanées. Michel Gondry a toujours inspiré ses images par un bouillonnement imaginaire façon méli-mélo, qui s’était idéalement épanoui dans L‘Écume des jours, (2013), son adaptation d’après Boris Vian.
Le Livre des solutions met en jeu une loi physique : l’élasticité. Soit la propriété d’un matériau à retrouver sa forme d’origine après avoir été déformé par des forces extérieures. Les souvenirs de Michel Gondry sont soumis à l’action d’une force cinématographique qui les allonge, les étire, les fléchit et les tord.