Rencontre avec Barbet Schroeder autour de Ricardo et la peinture

L’art et la manière

Loin de sa « trilogie du mal » (Idi Amin Dada : autoportrait, L’Avocat de la terreur, Le Vénérable W.), Barbet Schroeder consacre un documentaire à son ami de quarante ans, le peintre Ricardo Cavallo. 

Ce film portrait lumineux et généreux permet au réalisateur de More et Barfly de tracer le portrait d’un artiste, mais aussi d’un passeur, aussi à l’aise pour évoquer l’histoire de l’art que pour initier des enfants à la peinture dans son atelier en Bretagne. Barbet Schroeder a conçu son documentaire comme un voyage dans la peinture (et une observation minutieuse du travail de Velázquez) en compagnie d’un guide passionnant mais aussi une réflexion sur la création artistique, malicieusement illustrée par une forme de mise en abyme (fin de prises « manquées », irruption dans le champ du réalisateur et de son équipe, captation de prises de vues…). Le cinéaste revient avec nous sur la confection de ce documentaire et sur la place particulière qu’il occupe dans sa filmographie.

Ce n’est pas la première fois que vous filmez Ricardo Cavallo : vous avez même posté une vidéo sur Youtube* il y a près de dix ans.

Je suis très ami avec Ricardo, il me tient toujours au courant de ses expositions et quand il m’a indiqué qu’il en tenait une dans un château, je suis monté dans le premier train. Au départ, je n’avais pas l’intention de filmer, mais j’ai toujours avec moi ma petite caméra Sony, qui tient dans la poche. Et après avoir parcouru trois fois l’exposition, j’ai eu l’idée de tourner un plan-séquence. Comme j’étais très content de ce plan, je l’ai mis sur Internet et il y est toujours, apparemment.

Après l’expérience de ce plan-séquence, quand avez-vous eu l’idée d’un long-métrage ?

Depuis longtemps maintenant, je fréquente régulièrement Ricardo : je le vois pour observer comment avance son œuvre, mais nous nous retrouvons aussi quand il est de passage à Paris pour visiter des musées et des expositions. Et une visite en compagnie de Ricardo est toujours un moment passionnant. En plus de ses peintures que j’aime beaucoup, c’est un formidable pédagogue. L’idée du film s’est construite comme ça. C’est un peu une chronique de notre amitié, mêlée à une chronique de notre voyage à travers la peinture, l’histoire de la peinture, et bien sûr, la découverte de son œuvre. Ricardo est un personnage, enfin pas un personnage, une personne exceptionnelle.

Vous employez le terme personnage et Ricardo est un personnage cinématographique comme vous les affectionnez ?

Certainement, on ne croise pas beaucoup de personnalités comme Ricardo dans le monde et ce qui est passionnant, c’est que je ne vois pas une trace de mal en lui. C’est assez unique. Je ne cherche pas systématiquement le mal dans mes sujets de cinéma, mais on craint toujours de produire une œuvre moins intéressante en la construisant sur des bons sentiments. Mais j’aimais tellement Ricardo que je ne me suis pas posé ce genre de question quand j’ai décidé de réaliser un film sur lui.

Vous avez pourtant beaucoup filmé le mal, tant dans la fiction que dans le documentaire...

C’est très juste, l’ambiguïté des personnages et des relations entre les personnages m’a toujours fasciné.

Il y a peut-être une exception avec "Koko, le gorille qui parle" ?

Même si, là aussi, les choses sont un peu plus complexes : on a pu dire que Francine « Penny » Paterson, qui s’occupe de Koko, veut le rendre bon.

"Ricardo et la peinture" apparaît un peu différent de vos autres documentaires, notamment parce que vous apparaissez dans le film.

C’est arrivé par hasard. Le tournage s’est déroulé avec plusieurs caméras et il se trouve que Victoria Clay, la directrice de la photographie, a conclu certains plans en me filmant. Au départ, j’ai protesté, mais Victoria pensait que j’avais tort. Nous nous sommes laissé le temps de la réflexion. Finalement, le film mettant en scène notre amitié de quarante ans, je me suis dit qu’il n’était pas incohérent que j’y apparaisse. Mais je ne voudrais pas qu’on croie que je me pousse en avant comme d’autres cinéastes.

Vous pensez à des metteurs en scène particuliers ?

Ah non, je ne donnerai pas de noms (sourire).

Mais vous n’êtes pas le seul à apparaître dans le champ, votre équipe technique également.

À partir du moment où nous avions pris ce parti, il était logique que tout le monde apparaisse à l’image et qu’on voie, en quelque sorte, le film se créer. Je trouvais très excitant de pouvoir prendre ce recul en utilisant plusieurs caméras, notamment dans la scène où on voit Victoria en train de filmer un des jeunes élèves de Ricardo en train de dessiner très soigneusement. Se mêlent alors le regard de Victoria sur le dessin de l’enfant, mon regard sur cette scène, mais aussi celui de Ricardo qui participe à l’action.

Cette façon de prendre du recul sur votre propre film s’est jouée au tournage, au montage ?

Ça a commencé sur le tournage et ça s’est confirmé au montage. Pour moi, le film doit énormément à Victoria Clay, à la caméra, mais aussi au travail de la monteuse, Julie Lena. Elles ont été des collaboratrices essentielles au même titre que Ricardo, qui est le cœur du film.