L’air de la mer rend libre de Nadir Moknèche

Aimer, librement

Dès le titre, le cinéaste Nadir Moknèche inscrit son film dans l’horizon, autant du ciel que de la mer, seule perspective possible pour toutes celles et tous ceux qui sont secoués par la vie. Être libre ne relève pas uniquement d’un statut, loin de là, tant les contraintes sont prégnantes et parfois mortifères lorsque le cœur en est touché.

Depuis son premier film Le Harem de Madame Osmane (1999), Nadir Moknèche raconte le désir, et ses puissances, au cœur de tous ses films. Ses personnages, tout en couleurs, le plus souvent des femmes, se débattent pour vivre leurs passions en toute liberté. Au risque de se brûler.

Digne héritier de Rainer Fassbinder (pour son acuité acide des névroses humaines) et de Pedro Almodóvar (pour le tourbillon des genres chorégraphié avec maestria), le cinéaste a choisi pour son septième long-métrage une histoire qui résonne avec les problématiques contemporaines, celle du genre et de la filiation, non sans humour et finesse.

Saïd, (vibrant jeune acteur Youssouf Abi Ayad) dernier né d’une famille rennaise, habite encore chez ses parents. Timide et fils obéissant, il ne cesse de se cacher aux yeux de tous, vivant dans le secret son amour pour Vincent (interprété par Arturo Giusi-Périer), un jeune musicien talentueux.

Si personne ne dit rien, tout va bien alors. N’est-ce pas l’adage qui nous enseigne que pour vivre heureux, vivons caché ? Or, c’est là que le bât blesse. Cette expression, tirée d’une fable du dix-huitième siècle, ne semble plus viable, même face aux fortes conventions sociales en vigueur.

Les parents de Saïd, admirablement joués par Saadia Bentaïe et Zinedine Soualem, propriétaires d’une boucherie où toute la famille travaille, se font du souci pour leur fils. Ils lui organisent alors un mariage de raison avec une jeune fille éprouvée par la vie. Hadjira (Kenza Fortas, quelle flamme !) a choisi de se réfugier dans ce contrat pour apaiser son cœur blessé. Farouche, taiseuse, elle déborde d’une passion trahie, cette blessure fait d’elle le personnage féminin le plus dramatique du récit. Comme dans tous les films du cinéaste, les femmes sont hautement romanesques, au sens le plus mélodramatique.

Tout autant religieux que sacré dans l’ordre de la croyance (quelle qu’elle soit), le mariage est aussi et surtout une institution sociale puissante. C’est un contrat entre deux familles incluant deux personnes, dans lequel le sentiment reste encore secondaire, quels que soient la société, la culture ou le pays. Le sentiment amoureux relié à cette alliance multimillénaire n’est que récemment pris en compte. Rappelons-nous Molière ou Shakespeare, qui ont su nous faire rire des désordres de l’amour au sein des familles, qu’elles soient marchandes, comme dans le film, ou nobles.

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, telle pourrait être l’autre maxime de ce film, bien plus ambiguë qu’il n’y paraît de prime abord.

Structuré par des chapitres dont chacun porte le nom des protagonistes, le film est comme un rhizome où ce sont les élans du cœur qui se font écho, bien plus que la linéarité de l’intrigue. Car, après tout, tout film de mariage n’est que prétexte à un grand charivari, et ce pour notre plus grand plaisir…

Et c’est là que Nadir Moknèche nous enchante, dans le pas de côté qu’il ne cesse de distiller tout au long de ses scènes, filmées comme des saynètes d’un théâtre, non de la cruauté, mais de la tendresse. Il y a chez lui une fidélité et un amour entier envers les actrices (Lubna Azabal, royale) et les acteurs, comme sa grande intuition à dénicher des jeunes talents pour leur donner des rôles de premier plan. C’est aussi retrouver chez lui et plus encore dans ce film son engagement dans le monde, à savoir démonter et déconstruire une à une les dominations, sources de souffrances et d’injustices. Car, s’il pointe avec un humour subtilement féroce les fantasmes et préjugés qui ont encore, hélas, la peau dure, il le fait avec une élégance digne des grands cinéastes, Vincente Minnelli compris.