Veuve mais pas trop...

Au bonheur de Demme

Entre Dangereuse sous tous rapports et Le Silence des agneaux, Veuve mais pas trop… est au centre d’une (informelle) trilogie de films de Jonathan Demme, distribués par la défunte société Orion et portés par des femmes de tête. C’est probablement le moins brillant des trois (et c’est loin d’être une honte, quand on voit la très grande qualité des deux autres), mais c’est celui qui me rend heureux, à chaque vision.

D’abord, même si je m’y sens intimement lié, j’imagine que je ne suis pas le seul que ce film a enjoué, puisqu’il s’agit d’une comédie sentimentale, genre par essence destiné à réjouir ses spectateurs (nos amis anglo-saxons le placent d’ailleurs sous la bien nommée bannière du feel good movie). Mais plusieurs éléments de ce film, que je revois régulièrement, provoquent chez moi un bonheur quasi instantané. D’abord, il est un des liens cinéphiliques que je partage avec ma  sœur, qui en connaît comme moi les répliques par cœur depuis que nous l’avons découvert ensemble il y a un peu plus de vingt-cinq ans. Puis, on peut dire qu’avec son histoire d’agent du FBI sous couverture qui tombe amoureux de la veuve d’un mafieux, mère d’un petit garçon, il pourrait bien avoir été chez moi le révélateur (ou le déclencheur ?) d’un tropisme pour les mères célibataires. Mais il est aussi, sur un plan plus cinématographique, le représentant parfait de tout ce que j’aime dans les films de Jonathan Demme. Venu au cinéma sous l’égide de Roger Corman (comme Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, ou encore Joe Dante, on ne le rappelle jamais assez), Demme est peut-être celui qui aura le plus fidèlement appliqué les recettes du réalisateur-producteur du Masque de la mort rouge : de l’action, du rythme, des femmes de caractère et une volonté de ne jamais ennuyer son spectateur. Et Married to the Mob (pour ne pas user de son titre français, assez laid, il faut l’avouer) représente peut-être la quintessence du cinéma de Jonathan Demme. Entre la Melanie Griffith de Dangereuse sous tous rapports et la Jodie Foster du Silence des agneaux, Michelle Pfeiffer, dans un de ses rôles les plus piquants, est la sublime et brune héroïne de ce polar qui ne se prend jamais au sérieux et où la BO du génial David Byrne est accompagnée d’une bande-son pop, comme seul sait les agencer le réalisateur de Philadelphia. Mais ce ne sont que quelques-uns des plaisirs que procure ce film au casting tout simplement incroyable, de la révélation d’Alec Baldwin, à l’impayable Dean Stockwell,tous deux en mafieux d’opérette, en passant par des caméos improbables : l’inquiétant Joe « Maniac » Spinell y croise par exemple le chanteur Chris Isaak. Mais c’est peut-être finalement la présence d’acteurs plus réguliers chez Demme qui provoque en moi ce sentiment de familiarité avec son film et plus généralement avec son cinéma. Les brèves mais marquantes apparitions de Charles Napier (acteur fétiche de Russ Meyer, ici dans un contre-emploi absolu de coiffeur branché) ou du beaucoup moins connu Paul Lazar (en homme de main plutôt limité), sont des clins d’œil touchants, qui me donnent un peu 
l’impression d’appartenir à la généreuse famille de cinéma de Jonathan Demme.