Oscars 2023

Le sacre de "Everything Everywhere All at Once"

Depuis un moment annoncé gagnant par les diverses cérémonies de récompenses corporatistes qui précédent les Oscars, le film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert n’a laissé que peu de place à ses prestigieux concurrents.

Presque un an jour pour jour après sa première mondiale au festival américain South by Southwest (SXSW pour les intimes), Everything Everywhere All At Once a terminé son parcours aussi détonnant que réussi avec pas moins de sept Oscars, presque tous dans des catégories reines. Meilleur film, meilleurs réalisateurs (Daniel Kwan et Daniel Scheinert, pour leur second long-métrage après de nombreux clips et réalisations pour la télévision), meilleur scénario original, meilleur montage et trois prix d’interprétation sur quatre (Michelle Yeoh, Ke Huy Quan et Jamie Lee Curtis). Ce film, qui croise les registres et les genres, a su séduire la presse et le public américains. Distribué par l’indépendant A24 (grand gagnant de la soirée avec les deux autres Oscars reçus pour The Whale), le film a lentement, mais sûrement conquis les spectateurs, amassant 100 millions de dollars de recette au cours d’une exploitation qui a duré plusieurs semaines, comme celles, toutes proportions gardées, de Top Gun : Maverick et Avatar : La Voie de l’eau (qui n’ont reçu chacun qu’un Oscar technique). Dans un milieu du cinéma encore convalescent, ces trois films ont symbolisé, chacun à sa façon, le retour des spectateurs en salle.

Mais revenons aux Oscars, ou plutôt aux miettes laissées à la concurrence. Brendan Fraser pour son interprétation et l’équipe de maquilleurs de The Whale se placent dans la lignée de La Môme ou Les Heures sombres, récompensés pour un acteur métamorphosé et pour l’équipe qui a procédé à cette métamorphose. La talentueuse Sarah Polley reçoit son premier Oscar pour l’adaptation du livre Women Talking, dont elle a également signé la superbe réalisation. Elle coiffe ainsi au poteau un autre favori, Kazuo Ishiguro, qui aurait pu intégrer le cercle très fermé des lauréats d’un Oscar et d’un Prix Nobel de littérature (les seuls membres à ce jour en sont George Bernard Shaw et Bob Dylan).

Les grands perdants de cette soirée furent les grands studios historiques et les films qu’ils représentaient : absolument rien pour les multinommés The Fabelmans, Tár, Les Banshees d’Inisherin et Elvis, qui ne méritaient assurément pas ce dédain. La plate-forme Netflix, elle, a su tirer son épingle du jeu avec quatre Oscars (principalement techniques) pour la nouvelle adaptation d’À l’Ouest rien de nouveau (la précédente, en 1930, en avait remporté deux, dont celui du meilleur film), celui du meilleur film d’animation pour le Pinocchio de Guillermo del Toro et Mark Gustafson, ainsi que celui du meilleur court-métrage documentaire, Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau.

Au-delà des déceptions inhérentes à ce type de soirée (les interprétations de Cate Blanchett et Colin Farrell boudées, la musique de Carter Burwell, toujours pas reconnue à sa juste valeur), les Oscars 2023 sont quand même placés sous le signe de l’ouverture à d’autres pays (l’Allemagne, pour À l’Ouest rien de nouveau, et l’Inde, récompensée pour la chanson du délirant RRR et pour Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau) et de la nouveauté : tous les participants récompensés de Everything Everywhere All At Once ont reçu leur premier Oscar, tout comme Brendan Fraser et Sarah Polley.

François-Xavier Taboni