Festival de Cannes 2024 #J4 - Vendredi 17 mai

Passion détestation

Peut-on être et avoir été ? Oui. Non. Parfois. En fait, ça se discute.

Tout le monde est à Cannes, même Messi, le chien star de la Palme d’or 2023, Anatomie d’une chute de Justine Triet, qui est venu faire un petit tour en rappelant que lui, madame, a reçu le prix d’interprétation, à savoir la Palme Dog. Ah mais ! Il va être mis au défi cette année par son collègue Kodi, interprète de Cosmos dans Le Procès du chien, premier long-métrage foutraque mais sympathique de et avec Laetitia Dosch présenté à Un Certain Regard. On voit par là que, comme disait ma grand-mère, « tout fait ventre » au Festival de Cannes.

Ce qui nous amène à la question suivante. Qu’est-ce qu’un « événement » cannois ? Une personnalité ou un film attendu. Qui fait une belle photo et le buzz et reste dans les mémoires. Ou pas. Car ce qui compte, c’est l’avant. L’annonce. L’attente. Le désir. Évidemment, si le résultat est à la hauteur de l’annonce, de l’attente et du désir, c’est merveilleux. Liesse, youyous et confettis. #jesuisjoie. Avec sa canne et son chapeau de paille, la silhouette fragile, le visage émacié mais souriant, Francis Ford Coppola, 85 ans, fut acclamé longuement jeudi 16 mai sur le tapis rouge, entouré d’Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Jon Voight, Aubrey Plaza, Talia Shire et quelques autres, ainsi que sa petite fille Romy Mars, 17 ans, fille de Sofia Coppola. Deux fois palmé d’or pour Conversation secrète et Apocalypse Now, le réalisateur de la trilogie du Parrain n’avait pas présenté de film à Cannes depuis Tetro en 2009 : ce n’était pas en sélection officielle, mais à la Quinzaine des réalisateurs (aujourd’hui Quinzaine des Cinéastes). Il y a, dans le grand auditorium Lumière du Palais des Festivals, une espèce de magie qui opère et fait de chaque présentation de film en présence de l’équipe au grand complet un moment unique.  On y sent souvent que le plaisir d’être là surpasse le plaisir d’avoir vu, voire dépasse le déplaisir d’avoir détesté. C’est le cinéma en son entier qu’on acclama à travers Coppola jeudi… Dans les salles où la presse a découvert Megalopolis, l’accueil fut, au mieux, poli tendance frigorifique.

Oubliez cette idée reçue qui veut que le critique de cinéma soit un pisse-vinaigre ne vivant que pour dézinguer les films et les cinéastes, elle est fausse. Le chagrin était hier palpable chez tous les journalistes cinéphiles venus découvrir le dernier opus d’une de leurs idoles. Ce mastodonte de film, qui germa dans sa tête au début des années 1980 et qu’il mit plus de quarante ans à écrire et réaliser, est plein comme un œuf. Il a coûté des milliards, et son ambition est totale : raconter l’Amérique de demain à l’aune de la Rome antique et ce façon Shakespeare, avec combats des chefs, Catalina versus Cicéron, et vestales en toge. On voit l’idée. Malheureusement, tout cela est confus, distille un baroque de pacotille et un ennui certain. Comme un volcan devenu vieux, Coppola parvient encore, de ci de là, à créer quelques étincelles incandescentes, des moments uniques où le temps s’arrête (ce qui est, d’ailleurs, un des pouvoirs de Catalina alias Adam Driver). Mais que de vide dans une œuvre pourtant si touffue…

Bird d'Andrea Arnold. Copyright Atsushi Nishijima.

Séchons nos larmes, crocodiles que nous sommes. Un film chasse l’autre. Un engouement balaie une déception. Et heureusement, il y a la réalisatrice britannique Andrea Arnold. Depuis son deuxième court, Milk, révélé à la Semaine de la Critique 1998, depuis son premier long, Red Road (2006), présenté en compétition – et récipiendaire du prix du Jury -, comme ensuite Fish Tank (2009) et American Honey (2016), son talent à conter les blessures à embrasser l’univers de l’enfance et de l’adolescence nous cueille à chaque fois. Bird réserve quelques instants fantastiques dans un naturalisme jamais appuyé. On y suit Bailey, 12 ans, qui vit dans un squat du Kent, non loin de la mer, avec son père et son demi-frère. Bailey qui regarde tout à travers son téléphone portable, comme tous les ados de sa génération, mais qui filme parfois le vol des oiseaux dans le ciel ou le mouvement d’un papillon sur la peinture écaillée d’une fenêtre. Bailey, grande petite qui fait la gueule, qui se bat avec un quotidien pas rose, et qui aurait bien besoin d’un super héros… Libre, inventif, Bird n’est pas une surprise, mais une confirmation. Avec un nouveau visage, celui, en apparence fermé où passent ombres et éclats, de la jeune et prodigieuse Nykiya Adams. Bienvenue à elle.

 

Isabelle Danel