La Petite Vadrouille

Le bateau libre

Une bande d’attachants margoulins monte une arnaque pour sortir de l’ornière et embarque un riche investisseur dans une croisière fluviale bricolée. Inventive et optimiste, cette comédie aux reflets estivaux allie habilement la légèreté de surface et une sous-jacente réflexion sur les inégalités qui se creusent, le désir d’appropriation ou le passage de relais entre les générations.

Nous avions quitté, l’été dernier, Bruno Podalydès avec Wahou !, variation drolatique et existentielle sur nos relations aux espaces domestiques. Dans l’un de ses deux décors, la Maison Murget, un bel exemplaire de L’Île mystérieuse de Jules Verne dressait un pont discret entre les deux catégories de films qui semblent se dessiner avec le temps dans l’œuvre du cinéaste : les longs-métrages aquatiques et ceux qui s’ancrent à quai.

Après le convoi familial de Liberté Oléron et la virée en solitaire de Comme un avion, La Petite Vadrouille convie, lui aussi, ses personnages à bord d’une embarcation. Ici, une « pénichette » mise à disposition par une bande de margoulins bien décidés à profiter de l’argent que l’employeur de Justine (Sandrine Kiberlain, enchantée et enchantante) compte dépenser pour la séduire le temps d’une croisière fluviale. Ces amis fauchés, qui espèrent berner le riche enamouré et ainsi « se refaire », partagent avec les protagonistes d’Adieu Berthe, Bécassine ! ou Les Deux Alfred, le sens de la débrouillardise et des petits arrangements. Car, sur l’eau ou à terre, celles et ceux qui peuplent l’ensemble de la filmographie de Bruno Podalydès tentent toujours de se frayer un chemin dans l’existence en composant avec la vérité et le mensonge, la norme et la marge, avec inventivité ou roublardise. En résultent des trouvailles parfois géniales, surprenantes ou hilarantes, que ce film-ci recèle d’un bout à l’autre.

La Petite Vadrouille de Bruno Podalydès. Copyrights : Anne-Françoise Brillot / UGC Distribution.

La Petite Vadrouille avance ainsi, souriant, léger, estival, et distille, outre son humeur joviale, une réflexion sur les inégalités qui se creusent (« les riches regardent pas les pauvres », y dit-on à juste titre), le désir d’appropriation ou le passage de relais entre les générations. Le petit monde flottant de ce film rassemble un bourgeois confiant dans son stratagème de séduction (Daniel Auteuil, nouvel invité dans cet univers), un mari jaloux (Denis Podalydès, drôlissime), un capitaine obnubilé par son mousse (le cinéaste himself). Soit trois sexa ou septuagénaires, dont l’attitude évoque ce que Roland Barthes dit du monde nautique de Jules Verne dans Mythologies : « le bateau peut bien être symbole de départ ; il est, plus profondément, chiffre de la clôture. Le goût du navire est toujours joie de s’enfermer parfaitement, de tenir sous sa main le plus grand nombre possible d’objets. »

La Petite Vadrouille emprunte le mouvement inverse et, partant d’une volonté des uns et des autres soit de posséder l’être aimé, soit d’amasser de l’argent sur le dos de quelqu’un (Albin envisageant de truander ses copains), les conduit délicatement vers une forme d’abandon et d’ouverture, comme le suggère le dernier plan du film tourné vers l’horizon.

On est ainsi touché par la manière dont le réalisateur filme un groupe de jeunes gens portant assistance aux bras cassés embourbés sur leur bateau devenu ivre. L’ancien monde qu’ils représentent a trop tiré sur la corde, raconte littéralement cette scène bien sentie. Comme Les Deux Alfred et Wahou !, La Petite Vadrouille fait l’éloge de la nouvelle génération, sa vitalité, sa lucidité et son ingéniosité. Qu’elle est gracieuse, la séquence où la pénichette et la jeune acrobate accordent harmonieusement leurs trajectoires ! Il y a dans ce geste hautement cinématographique un pari optimiste qui se fait entendre et réjouit.

 

Anne-Claire Cieutat