Festival de Cannes 2024 #J8 - Lundi 20 mai

Le pouvoir d’une robe

C’est le jour où tout le monde sait des trucs sur tout. Qui aura la palme. Ce qu’a détesté le jury. La date de péremption du seul yaourt restant dans mon frigo. 

Oh mais ! Arrêtez de me prendre au pied de la lettre ! Mon ami Dimitri (le prénom a été changé) me dit que Ghost ne consiste pas seulement en cette scène mythique brûlante entre Demi Moore, Patrick Swayze et le tour de poterie. Il ajoute que c’est un film sur l’amour, la trahison et le deuil impossible. Merci Dimitri, c’est tout à fait exact. Et d’ailleurs, c’est dingue, parce que The Shrouds / Les Linceuls de David Cronenberg parle de ça aussi. Enfin, c’est pas si clair. Mais y a pas de poterie, c’est sûr. Quoique ? Y a de la poterie ? Non. Y en a pas… C’est l’histoire d’un homme, Karsh (Vincent Cassel, très Cronenberg du point de vue capillaire), inconsolable de la mort de son épouse Becca (Diane Kruger), qui a investi dans un cimetière hyper connecté dans lequel on peut voir, grâce à des linceuls spécifiques et via des écrans, ce qui se passe dans les tombes. La putréfaction en marche. Mais voilà, celle de sa chère disparue et huit autres ont été saccagées, sa belle-sœur (sosie de la défunte) toiletteuse pour chiens complotiste a une théorie. L’ex-mari de celle-ci, geek très nerveux, aussi, et l’avatar de Karsh, dessiné d’après Becca, aussi. Prometteur dès les premières scènes, dans le droit fil de ses préoccupations habituelles, The Shrouds consiste surtout en des échanges verbaux, dont certains sont drôles, mais dont on peine à savoir où ils vont. Est-ce un rêve, est-ce un cauchemar ? Sont-ce les Russes ou les Chinois qui ont hacké les tombeaux ? Autant de questions restant sans réponse dans ce film élégant et vain. Et finalement, ça n’est pas bien grave. 

C’était la journée du vrai et du faux, hier, des complots et des fake news, de tout ce qui nous fait peur aussi avec The Apprentice de Ali Abbasi. Soit les jeunes années d’un jeune homme aux dents longues travaillant dans l’immobilier et nommé Donald Trump, sa rencontre avec un avocat véreux qui lui apprit toutes les ficelles de la corruption et lui fit la courte échelle vers la fortune et l’impunité. Image aux couleurs surannées, ambiance d’époque garantie et deux prestations d’acteurs hallucinantes : Sebastian Stan (The Avengers) en apprenti et Jeremy Strong (Succession) en diable. Ça ne dépasse pas ça, et c’est assez désagréable puisqu’on connaît la suite… et si les procès ne mettent pas fin aux nouvelles prétentions électorales de l’ex-président républicain, il se peut bien qu’il y ait une autre suite… Mais c’est déjà ça.

Copyright Laurent Koffel.

Hier, Cate Blanchett, la magnifique, déjà présente la veille dans Rumors de Guy Maddin, Evan et Galen Johnson, présenté hors compétition (et pas vu, hélas), montait les marches. Dans une belle robe bustier droite toute simple. En satin noir devant, blanc derrière et vert à l’intérieur. Sur le tapis rouge, ça faisait drapeau palestinien. C’était beau et ce n’était pas un hasard… Les réseaux sociaux en bruissent incessamment depuis. Comme quoi, même sans calicot ni geste ostensible, on peut être politique. Ceux qui veulent voir, voient. Les autres passent leur chemin. Peace and love, dear Cate. 

Sinon, il faut évoquer ici une sorte d’épidémie étrange dans les comédies musicales : tandis qu’à la Semaine de la critique dans Les Reines du drame d’Alexis Langlois, on peut entendre une chanson d’amour qui dit : « Tu m’as fistée jusqu’au cœur », l’un des refrains psalmodiés dans Emilia Perez de Jacques Audiard n’est autre que « Rhinoplastie ! Vaginoplastie ! Mammoplastie ! ». Ça plus The Substance, The Shrouds et quelques autres, ça nous donne une Croisette furieusement organique.