Ondine

Comme un torrent

Avec Ondine, Christian Petzold s’empare d’une célèbre légende d’outre-Rhin afin de dresser le portrait inédit d’un amour enflammé. Avec Paula Beer, primée pour son rôle au festival de Berlin, et l’envoûtant  Franz Rogowski.

Lors d’une pause de travail, la chatoyante Ondine, jeune guide touristique au Stadtmuseum de Berlin, est quittée par l’homme qu’elle aime. Son monde s’effondre. Le cœur brisé, la jeune femme évoque alors une étrange malédiction : en l’abandonnant ainsi, son amant devra mourir… Dans le même temps, Ondine s’éprend néanmoins d’un autre, Christoph, un étrange scaphandrier.

Ondine de Christian Petzold - Copyright : Les films du losange

Le prolifique et ultra primé cinéaste allemand Christian PetzoldYella, 2007, Jerichow, 2008, Barbara, 2012, Phoenix 2014 – renoue avec une inspiration liée au conte comme dans  Gespenster (Fantômes, 2005). Aux détours de ses lectures, il est retombé sur l’évocation du mythe d’Ondine, récit imaginaire d’un amour trahi que tout Allemand connaît depuis l’enfance. Originellement paru en 1811 sous la plume de Friedrich de La Motte-Fouqué, cette histoire propre à la culture germanique – au même titre que La Petite Sirène de Hans Christian Andersen datée de 1837, l’est aux Scandinaves -, évoque un génie féminin des eaux, cherchant à épouser un chevalier pour obtenir une âme dont elle est dénuée. Du romantisme originel quelque peu désuet du texte original d’Ondine, Christian Petzold se démarque d’emblée, refusant dans son film toute forme d’idéalisme et de sentimentalité. Quelques séquences introductives permettent au cinéaste de dessiner son héroïne (vibrante Paula Beer, Ours d’argent de la meilleure actrice à la dernière Berlinale) sous les traits d’une jeune femme moderne, indépendante, sûre d’elle. Altérant le conte initial et nimbant ses intentions de mystère, Petzold brouille les pistes : Ondine refuse jusqu’à la révolte la damnation qui lui enjoint de tuer son amant. Cette rébellion, en phase avec le regain féministe actuel, vaut à Ondine la liberté de vivre une nouvelle passion amoureuse.

Ondine de Christian Petzold - Copyright : Les films du losange

Lorsque Christoph (le magnétique Franz Rogowski) entre en scène, bousculant le cœur d’Ondine, Christian Petzold est aux aguets. Il use de la métaphore d’un aquarium se brisant en un flot irrépressible pour marquer le coup de foudre instantané qui submerge Christoph et Ondine, tombés à terre. Ondine repousse le mauvais sort, fusionne avec son nouvel amant tel un aimant, batifole sans cesse avec lui, chez elle, dans sa chambre banale d’HLM. Hasard malicieux, Christoph appartient lui-même au monde liquide : scaphandrier de métier, il plonge avec Ondine  – et nous aussi – dans les eaux vertes de la ville (Berlin fut construite sur des marais) pour y réparer des conduites insalubres et autres turbines rouillées au milieu des plantes aquatiques. Inspiré par Jules Verne – l’esthétique de Vingt Mille Lieues sous les mers de Richard Fleischer notamment – Christian Petzold s’égaye à la magie d’un monde sous-marin aussi réaliste que rêveur, enluminé de la présence surprenante d’un énorme silure. Sa fascination à filmer la naissance de cet amour est aussi prétexte à un parcours de Berlin, écrin essentiel au duo d’acteurs déjà présents dans son film précédent (Transit, 2018). Dans Ondine, il exalte la présence et la beauté physique de Paula Beer et Franz Rogowski, captant l’évidence lumineuse dans l’union de ces deux êtres. Pour parachever son propos, Petzold développe un goût savant de l’ellipse, tel un courant contraire venant altérer le flux tranquille de ses amants. Il lui permet de renouer délicieusement avec le mythe, porté par l’adagio somptueux du concerto en ré mineur de J.S. Bach. En somme, l’ensemble de la composition tient du véritable raffinement.