Entretien avec l'artiste Pascale Montandon-Jodorowsky

Aimer, peindre et filmer

Pascale Montandon-Jodorowsky est peintre et auteur d’une œuvre aux aplats célestes et aux lignes musicales d’une pureté et d’une grâce infinies. Pascale Montandon-Jodorowsky est aussi l’épouse et la plus proche collaboratrice d’Alejandro Jodorowsky, dont elle a réalisé les costumes des films La Danza de la realidad et Poesía sin fin

Ensemble, ils ont créé l’artiste pascALEjandro, qui signe les couleurs des films d’Alejandro – y compris celles de ses films restaurés -, et une œuvre picturale qui a fait l’objet d’expositions notamment aux prestigieuses Galerie Azzedine Alaïa à Paris, Blum & Poe à Los Angeles, Gagosian Gallery à Art Basel Miami, Le Musée d’Art Moderne de Paris, le CAPC de Bordeaux, Aichi Triennale au Japon, et d’un riche recueil illustré disponible chez Actes Sud. 

Pascale Montandon-Jodorowsky est la personne qui a le plus influencé Alejandro Jodorowsky dans la construction de son œuvre ces quinze dernières années. À son contact, ses films ont gagné en lumière, en douceur et en féminité – tant et si bien qu’elle rayonne aujourd’hui davantage encore.

Psychomagie, un art pour guérir est sorti le 22 septembre dans une majestueuse édition DVD chez Nour Films, enrichi de précieux bonus, dont plusieurs entretiens et analyses approfondies. Pascale est derrière la caméra d’un bout à l’autre de ce processus filmique atypique. Elle est le deuxième regard du film, qui s’unit à celui d’Alejandro et le prolonge. Celui sans lequel ce film n’aurait pu être tout à fait juste et opérant. Celui qui est devenu indispensable au cinéma de Jodorowsky. 

 

Magazine de cinéma - Pascale Montandon-Jodorowsky
Pascale Montandon-Jodorowsky. Photo : Laurent Koffel.
Avant de signer l’image de Psychomagie, un art pour guérir, vous avez réalisé les bonus DVD de Poesía sin fin. Comment la peintre que vous êtes a-t-elle cheminé vers la caméra ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours grandi avec un appareil photo dans les mains. Mon père photographiait beaucoup et m’a transmis le besoin de capturer des instants du présent pour les garder en mémoire. La pratique de la photographie est selon moi très liée à l’idée de la mort, pas de façon morbide, mais parce ce que l’instant capturé ne reviendra plus jamais autrement que dans nos mémoires. La photographie, c’est une fois, jamais plus. Et c’est très lié à une forme de réalité du présent. Alors que dans la peinture, il y a quelque chose de l’ordre de la sublimation du présent inhérente à sa pratique. La peinture existe dans l’absolu et au-delà de nous. J’ai donc toujours tenu une sorte de journal de bord intime en photos, et j’ai continué à le faire avec Alejandro, dans notre quotidien ou en lien avec nos projets artistiques. De la même manière, j’ai filmé des scènes de notre vie. Et comme chez nous, la vie et l’art s’entremêlent, ces scènes de vie intimes sont devenues des exercices poétiques ; mais, comme un tapis qui se tisse, ces séquences, comme celles d’Alejandro qui nourrit les mouettes à Nice, ont été montrées dans des musées, ont fait l’objet de bonus DVD et sont devenues des projets artistiques. 

Quant à mon rapport à la technique, il a toujours été un peu miraculeux, car j’utilise l’appareil photo et la caméra de manière plus intuitive que technique. C’est valable pour toutes les expressions artistiques que j’ai pratiquées, même si j’ai été formée à la peinture. Quand j’ai abordé la scénographie aux côtés de Carolyn Carlson, par exemple, je n’étais pas scénographe ; quand j’ai créé des costumes pour la première fois, je n’étais pas costumière. J’ai abordé toutes les expressions artistiques sans avoir les mécanismes techniques du métier, mais avec un œil différent, avec mon regard de peintre toujours, et surtout avec ma vision du monde. 

Était-ce une évidence pour Alejandro et vous que vous alliez filmer les séquences de Psychomagie, un art pour guérir ?

Oui, car pour ce film, il fallait créer un dispositif discret pour préserver l’intimité des gens que nous filmions, qui ne sont pas des acteurs et qui étaient en état de fragilité et de souffrance, dans l’attente des actes qu’allait leur prescrire Alejandro pour cheminer vers leur guérison. Il ne s’agissait donc pas de les fragiliser encore plus avec des projecteurs et un attirail imposants. Il fallait réduire le dispositif de tournage à son plus simple appareil, en l’occurrence une petite caméra avec laquelle je filmais en lumière naturelle. Alejandro a naturellement pensé à moi, car nous avons une grande connivence et il m’a vue le filmer souvent dans des situations improvisées, lors de séquences de pantomime dans la rue que nous publions sur les réseaux sociaux ou ses nombreuses lectures de tarots. Il pensait que je serais capable de l’accompagner parce qu’il ne cherchait pas un œil technique, mais un œil humain, en symbiose avec l’action qu’il menait.  

Pascale Montandon-Jodorowsky et Alejandro Jodorowsky. Photo : Laurent Koffel.
Comment se passait la communication avec lui pendant le tournage de Psychomagie, un art pour guérir ? Trouviez-vous aisément votre place ?

Alejandro et moi sommes connectés. Nous nous connaissons tellement bien et avons l’un avec l’autre une telle relation de confiance et de respect que nous parvenons à nous comprendre avec peu de mots ou de gestes, et parfois dans le silence. Il m’arrivait même d’anticiper ses actions de manière presque télépathique, ce qui était très utile, car évidemment, nous ne pouvions rien répéter et il nous était impossible de nous parler ou pour Alejandro de me donner des indications orales sans risquer de perturber les personnes filmées. Chaque acte était unique et spontané, comme un acte chirurgical qui ne peut s’effectuer qu’une fois. Aucun de nous deux ne pouvait prévoir les réactions de la personne filmée, à qui nous ne pouvions rien faire répéter. Contrairement à un tournage classique où l’on peut refaire les prises tant qu’on veut, là c’était impossible, tout n’a eu lieu qu’une seule fois. Il fallait donc une attention accrue parce qu’une image perdue l’était à jamais.

Ce qui induisait un état de présence absolue de votre part…

Absolument ! Il y avait un double enjeu pour Alejandro : réaliser un film de cinéma visuellement fort et guérir les personnes filmées. Nous étions donc dans une vérité totale des situations et des actions. Dans ces conditions, il me fallait être dans un état de réception et d’éveil maximal pour ne rien manquer, pour être à l’écoute de l’autre tout en le respectant, et en même temps, être capable de l’approcher au plus près. 

Y compris si la personne filmée se met à pleurer. N’étiez-vous pas tentée de reculer dans ce cas ?

Non. Il s’agissait d’accueillir la souffrance des gens filmés. Le fait que ces personnes soient écoutées, entendues, qu’on prenne soin d’elles, et qu’elles soient filmées de près est aussi une reconnaissance de leur souffrance et fait partie du processus thérapeutique. L’œil de la caméra fait partie intégrante du processus de guérison. Et si cela fonctionne, c’est grâce aussi à l’extrême bienveillance d’Alejandro, qui soigne ses consultants par son écoute totale. La caméra devait accompagner cela. 

Quant à moi, je me devais aussi d’être dans un état de bienveillance totale et je faisais une confiance absolue à Alejandro, à sa profonde générosité et à son écoute de l’autre. Alejandro a toujours une position juste. Il fallait accompagner ces personnes dans leur état de souffrance, et il ne me fallait pas perdre de vue que j’étais là pour capturer une image qui ne reviendrait jamais. La possibilité d’aller au plus près des visages permet, en fait, de faire oublier la caméra. La caméra devenait presque l’incarnation de l’œil humain. Une caméra tenue par dix photographes différents donne dix regards différents, car elle absorbe de manière totalement mystérieuse le filtre de celui qui la manipule. Dans le cas de ce film, force est de constater que les consultants oubliaient la caméra. Sans doute parce qu’ils sentaient mon empathie. Je n’étais pas une personne neutre puisqu’ils m’identifiaient comme l’épouse d’Alejandro. Grâce à cela, ils se sentaient en confiance. Il ne s’agissait pas de faire d’effets, mais de restituer un regard plein d’humanité sur eux, celui d’Alejandro et celui, nous l’espérions, de tous les futurs spectateurs du film. 

Alejandro Jodorowsky et Pascale Montandon-Jodorowsky. Photo : Timothée Lestradet.
Vous avez également travaillé aux couleurs et à l’étalonnage du film, tout comme aux couleurs des films restaurés d’Alejandro. Vos deux regards n’en forment désormais plus qu’un…

Oui, notre regard à chacun nous nourrit l’un et l’autre. Mais quand je travaille sur un film d’Alejandro, je ne perds jamais de vue qu’il s’agit d’une œuvre d’Alejandro Jodorowsky. Je mets mon regard au service du sien, contrairement à notre œuvre commune, que nous signons pascALEjandro. En travaillant sur cette œuvre à quatre mains, nous nous sommes rendu compte que nous avions créé une cohérence de style à notre propre insu. Ce style n’est ni celui de l’un ou de l’autre, mais n’existerait ni sans l’un ni sans l’autre, il est la fusion des deux. Quand on traite la couleur, c’est la même chose. C’est un mariage harmonieux, qui fonctionne de manière alchimique et non rationnel. C’est un processus créatif réalisé à deux.  

Dans quelle mesure votre œuvre commune influe-t-elle sur votre œuvre artistique personnelle ?

Ce sont des vases communicants. En collaborant avec Alejandro, mon travail est aussi devenu beaucoup plus coloré, organique ; je me suis mise à intégrer dans mon œuvre personnelle des couleurs que je n’utilisais pas jusqu’alors. Cela est venu de manière naturelle. Les vases communicants sont possibles, quand des individualités fortes viennent nourrir une individualité commune. Mon regard sur le cinéma, par exemple, a évolué. 

C’est-à-dire ?

Au contact d’Alejandro, mon regard sur le cinéma et sur l’art en général s’est élargi et enrichi. Auparavant, j’avais un goût pour le secret, le drame, la mélancolie, l’intime, les choses un peu ténues, que ce soit au cinéma ou dans les arts visuels en général. J’étais très sensible à L’Éloge de l’ombre de Tanizaki, par exemple, ou à l’évocation « du coin obscur de la pièce » dont parle Rilke dans Lettres à un jeune poète, la pièce étant une métaphore de la vie, le coin obscur est celui vers lequel peu de gens osent se diriger, préférant la lumière de la fenêtre à l’ombre du coin obscur dans l’existence. Non que j’aie un goût pour l’obscurité, mais parce que j’ai accepté, en construisant mon œuvre, d’explorer tous les recoins de la pièce ! J’ai toujours eu ancrée en moi l’idée que la beauté avait à voir avec la profondeur dramatique de la vie et que toute profondeur a à voir avec des questions existentielles. C’est ce que je recherchais dans les œuvres, comme une acceptation de cette idée qu’il me fallait explorer tous les recoins de la pièce et ne pas me limiter à la surface des choses. En peinture, travailler sur l’ombre revient à travailler sur la lumière. Le noir fait partie de la lumière ; la lumière n’existe pas sans l’obscurité. Lorsque j’ai commencé à vivre avec Alejandro, ce n’était pas juste le début d’une vie amoureuse, mais c’était bel et bien le début de ma « vraie » vie. Cette phrase de Jean Marais m’a beaucoup marquée : « Ma vie a commencé à 24 ans, au moment où j’ai rencontré Jean Cocteau ». Avant ma rencontre avec Alejandro, je me sentais comme dans une antichambre préparatoire à ma vraie vie. Alejandro est l’homme, l’être « supérieur » que j’ai toujours attendu ; « supérieur » dans le sens où il se situe au plus haut de ce que j’attends de l’homme dont je partage la vie, « parfait » parce qu’il est celui qui me correspond pleinement sur tous les plans de mon être et de mon existence et qui me permet de m’accomplir et me révéler à moi-même. Vivant avec lui, une percée de lumière a eu lieu. Car de cette antichambre, je suis passée à la « grande pièce ». Ayant quarante-trois ans de plus que moi, il avait opéré tout un cheminement qui l’a conduit vers une épure. Comme tout génie, il est passé d’abord par des phases d’affirmation d’une écriture personnelle, par quelque chose de très dense et intense, avant de se diriger vers une œuvre essentielle, aux multiples facettes, mais d’un seul tenant, que ce soit la poésie, le cinéma, l’étude du Tarot ou la psychomagie, où tout est lié. Alejandro avance vers la lumière. Pour lui, l’Art n’a de sens que s’il guérit. Il tient cette position humaniste d’élévation, de parcours initiatique, afin d’aider l’humanité à grandir et à se développer. C’est une démarche éminemment positive. Nous savons tous que le monde va mal et nous avons besoin de transcendance, de sublimation, et d’aller vers le sacré non religieux que l’art contemporain a perdu. Et ça, c’est aller vers la lumière. Pour ma part, c’est ce vers quoi je tends dans la construction de mon œuvre et ce que je cherche dans celle des autres.

Pascale Montandon-Jodorowsky. Photo : Laurent Koffel.
Sauriez-vous dire d’où vous vient ce rapport absolu à l’art et à la vie en général ?

Je ne saurais dire d’où cela vient, mais je peux dire comment cela s’est manifesté et comment cela a évolué. La source des choses les plus fondamentales et essentielles est profonde et mystérieuse. Probablement tout le monde devrait avoir cette même quête d’absolu, mais elle est parfois entravée par une certaine idée préconçue de ce qui est possible et de qui ne l’est pas. 

Par chance, je n’ai jamais eu de notion d’impossibilité. Depuis l’enfance, le champ mental des possibles m’était ouvert, sans limites. De sorte que je me suis permis de rêver ma vie, de croire que cet idéal était réalisable, avec cette tranquille certitude chevillée au corps. Quand, très jeune, on se projette ainsi, on met au-devant de soi des visions, des désirs. Les miens étaient toujours très liés à la création, où l’art et la vie sont indissociables. Je ne concevais pas que l’art soit en dehors de la vie, que l’absolu dépeint dans les œuvres ne puisse pas être vécu. Cela a toujours été pour moi une évidence, qui allait à contre-courant du discours ambiant, qui a toujours eu plutôt tendance au raisonnable, à l’abnégation, à calmer les ardeurs des impulsions profondes des individus, qui pourtant correspondent à leur vraie identité.

Quand on se projette dans une vision de cette ampleur, on peut avoir le besoin d’affirmer une position, que ce soit dans son expression artistique ou ses convictions. La forme peut donc parfois sembler plus exaltée que nécessaire par le besoin de s’affirmer, puis petit à petit la distance entre soi et cet idéal s’amenuise, on réalise que cet idéal n’est pas un lointain inaccessible, mais correspond à ce que nous sommes dans notre plus profonde intégrité, et cela n’est pas hors de soi, mais vient de l’intérieur de soi. À ce moment-là, on s’aperçoit que cet idéal est incarné, c’est un peu comme avoir couru pour attraper un train en marche et puis s’apercevoir qu’on est parvenu à être dans le train et qu’il n’est plus besoin d’affirmer, de revendiquer, d’imposer, mais d’être, dans une forme juste qui ne fait plus de séparation entre intérieur et extérieur, entre le fond et la forme. Faire corps avec ce que l’on dit, être ce que l’on fait. Au fond, c’est ça accomplir son idéal, être soi vraiment, sans entraves, parce que là, tout est possible.

Œuvre de Pascale Montandon-Jodorowsky
Pourquoi avez-vous choisi la peinture initialement ?

Je me suis mise à dessiner avant de pouvoir parler. Je n’ai pas vraiment choisi la peinture, elle s’est imposée à moi. Ce n’était ni un dérivatif ni une distraction, mais bien mon langage de prédilection, et cela a toujours constitué la construction d’un monde intérieur. Peindre est ma colonne vertébrale, comme la poésie l’est pour Alejandro.

Comment a évolué votre rapport à la couleur ?

Enfant, je communiquais avec une voix intérieure. Ma couleur préférée était le jaune, la couleur du soleil, donc la lumière la plus éclatante. Adolescente, quand j’ai su que je voulais consacrer ma vie à l’art et aux arts visuels en particulier, je me suis découvert une prédilection pour le noir, les noirs et les gris, les couleurs froides et ténues, qui me permettaient d’explorer la lumière sous ses formes les plus subtiles. Je pense que, quand on maîtrise la lumière, on peut aborder toutes les couleurs, parce que la couleur est de la lumière avant tout. Et toutes les couleurs sont intervenues au moment de ma collaboration avec Alejandro et lors de la naissance de pascALEjandro, notre enfant symbolique qui est notre création commune. Les dessins d’Alejandro appelaient ces couleurs. Cela est venu naturellement. Mais avant cela, il me fallait effectuer ce travail presque ascétique et aller explorer les confins d’un monde aux gammes réduites. C’était mon vocabulaire visuel que j’appliquais aussi de manière vestimentaire. Je ne portais que du noir, du gris, des bleus sourds qui tiraient vers le violet. Et au fur et à mesure, ces gammes se sont réchauffées.

Œuvre de Pascale Montandon-Jodorowsky
Quel est votre rapport à la musique ?

Il est très important. La musique est une expression artistique abstraite qui s’inscrit dans le temps, qui est inhérente au déroulement du temps, contrairement à la peinture, par exemple, qui existe dans l’absolu. Elle m’offre un état de concentration, de méditation, de transe presque, qui me permet de me reconnecter à moi-même et de travailler en étant au plus près de soi, à la source la plus profonde. Tout Bach m’accompagne, mais aussi Haendel et Mozart. J’aime beaucoup les minimalistes américains, comme Steve Reich ou John Adams, dont les rythmes correspondent presque aux pulsations du cœur et dont l’épure et l’abstraction rendent leur musique organique. J’aime la profondeur de Arvo Pärt, de David Darling, mais aussi de Max Richter ou Jóhann Jóhannsson. J’aime profondément l’opéra Tristan und Isolde de Wagner. L’ouverture et la fin du troisième acte contiennent tout et forment un sommet total. Même chose pour la mort de Didon dans Didon et Énée de Purcell ou le deuxième mouvement du Concerto en sol majeur pour piano de Ravel, qui me bouleverse aux larmes. Je ne peux pas les citer tous… mais j’aime ces états-là, parce que cela permet d’accéder au cœur du cœur de la source de toute œuvre et de se reconnecter à soi, aux profondeurs intimes, où il n’y a plus de place pour le brouhaha ou le superflu, mais seulement la vérité à soi-même.

Il y a aussi un vocabulaire commun en musique et en peinture. On parle aussi bien pour l’un et pour l’autre de musicalité, de rythmes, de contrastes ou de couleurs. Je pense sans cesse au rythme, aux respirations, aux contrepoints quand je peins. Ces expressions se répondent en permanence. J’aime autant le cinéma et l’opéra parce que ce sont des arts totaux, qui permettent la rencontre des expressions et permettent une immersion totale dans les œuvres. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire de la scénographie, pour dépasser les limites du cadre de la peinture. Dès lors qu’on fait se rejoindre un texte et une image ou une image et une musique, cela crée un dialogue, une rencontre dans laquelle on peut s’immerger.

Quel est votre rapport à la nature ?

Pendant longtemps, être dans la nature n’a pas été un besoin viscéral, car je suis citadine. Mais je me souviens, adolescente, de longs étés passés sur la Côte Sauvage atlantique, où mes parents avaient une petite maison de vacances. Le retour à la ville était difficile, il manquait toujours du ciel… En tout cas, j’ai toujours eu le besoin de m’entourer de beaucoup de plantes et de regarder les végétaux pousser. Ce sont des êtres vivants, et quand on les aime, ils rayonnent. C’est un bout de nature avec lequel on communique. Nous en avons beaucoup chez nous. J’aime mettre les mains dans la terre et prendre soin des végétaux. Notre médecin homéopathe me l’avait même conseillé pour me détendre en période de stress…

Œuvre de Pascale Montandon-Jodorowsky
Quelle est votre définition de l’artiste ?

On ne choisit pas d’être artiste, cela vient d’une nécessité et il ne suffit pas de le vouloir pour l’être. Cela relève plus d’un état que d’une fonction et d’une volonté. Tout le monde a un talent et peut être créatif, mais être artiste véritable est quelque chose de très particulier. Si on l’est, on a la responsabilité de faire une œuvre. Chaque don, s’il n’est pas utilisé, sera perdu à jamais. Car chaque personne est unique. J’ai pris conscience de cela très jeune, et déjà je ne voyais pas de séparation possible entre la vie et l’art, entre mon idéal amoureux et mon idéal de vie artistique. Est-ce que c’est le destin ? L’ai-je provoqué ? Je ne sais pas, mais le fait est que j’ai rencontré Alejandro, mon idéal amoureux, celui que j’étais capable de décrire avant même de le connaître. Adolescente, j’ai eu la nécessité de me consacrer à la peinture en me faisant la promesse de ne jamais accepter aucun compromis, en m’imposant une intégrité totale vis-à-vis de moi-même. Je suis entrée en peinture comme on entre en religion. Ce travail avait à voir aussi avec la connaissance de soi. Quand j’ai rencontré Alejandro, et avec lui l’amour absolu, le champ s’est ouvert : par amour, nous avons commencé à faire œuvre commune et Alejandro m’a invitée à entrer dans son œuvre. Tout s’est fait de manière organique et non raisonnée. Certains ont pu craindre que je sois dissoute dans son ombre, mais l’œuvre a pris le dessus et j’en suis arrivée à penser et à constater que son œuvre, la mienne et la nôtre participent au même mouvement : faire œuvre tout court. C’est ce qui importe. Et quand on fait œuvre par amour, alors on peut tout donner parce qu’on reçoit tout.