Mes frères et moi

Récit d’apprentissage tendre en milieu défavorisé

Cette chronique touchante s’affranchit des représentations habituelles de la banlieue pour nous émouvoir avec la grâce d’une musique d’opéra. 

 

Yohan Manca réalise son premier long-métrage après une précoce carrière dans le théâtre en tant que comédien et metteur en scène. Il adapte d’ailleurs pour son passage au cinéma une pièce qu’il avait montée et interprétée à 18 ans, Pourquoi mes frères et moi on est parti de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. Nous épousons le point de vue de Nour (Maël Rouin Berrandou), 14 ans, qui vit dans un quartier populaire au bord de la mer avec ses trois frères et une mère alitée. C’est l’été et le garçon doit consacrer son temps à des travaux d’intérêt général. Lorsqu’il repeint un mur de son collège, il entend la voix de Sarah (Judith Chemla), une chanteuse lyrique qui anime un cours d’été. Auparavant, nous l’avions déjà surpris à écouter en cachette dans sa chambre des airs de Pavarotti, loisir contrastant avec les figures viriles qu’incarnent ses grands frères. Pour rejoindre le cours, il se détourne alors de ses obligations, des pressions subies par sa fratrie tumultueuse, encouragé par la professeure, qui reconnaît son talent inné pour le chant.

Mes frères et moi de Yohan Manca. Copyright David Koskas - Single Man Productions.

Pour traiter une situation familiale compliquée qui fait obstacle aux aspirations, et cette rencontre ouvrant de nouveaux horizons, le film choisit le ton léger de la comédie, ce qui donne un ton rafraîchissant à cette énième histoire de passage à l’âge adulte. Le parcours semé d’embûches entre Nour et l’opéra comporte des péripéties cocasses. Rien n’est lourd ou appuyé. Cette galerie de personnages est dépeinte avec sincérité et bienveillance. La prestation du jeune acteur Maël Rouin Berrandou, dans son premier rôle au cinéma, est d’une incroyable justesse : il parvient à endosser la part burlesque de son personnage sans perdre la détresse de la chronique sociale. La mise en scène de Yohan Manca est à hauteur d’enfant, elle capte sans effets clinquants la trajectoire du jeune Nour, se mettant totalement au service des enjeux humains. Une bonne humeur délicate, ainsi que la douceur de l’enfance, confèrent au film les allures d’un conte. Le personnage féminin est comme une fée qui va sauver le héros de son destin tout tracé. D’ailleurs, pour atteindre cette représentation féerique, le réalisateur a choisi de ne pas nommer le lieu de l’action, même si la chaleur de la lumière peut faire penser à une ville du Sud de la France. Il détourne ainsi les clichés sur les quartiers défavorisés avec humour et tendresse, sans oublier pour autant l’âpreté du réel, ce qui rappelle les comédies italiennes. 

Le film s’avère aussi très émouvant, notamment à travers le personnage de la mère malade. Cette figure tutélaire de la famille est souvent hors champ, agonisant silencieusement dans sa chambre, mais elle représente la pièce centrale du film. Nour connaît bien La Traviata, puisque son père italien courtisait sa mère, d’origine maghrébine, en lui chantant des airs d’opéras. C’est pour elle qu’il pousse sa voix comme Pavarotti, pensant que cela peut l’aider à survivre. L’enfant demeure fidèle jusqu’au bout à ses aspirations (même si cela lui vaut de se détourner de ses frères) pour mieux renouer avec ses racines. Cette dimension sentimentale permet de considérer la professeure comme une figure maternelle de substitution. L’enfant avait besoin d’un guide social et affectif pour s’émanciper. Son rapport au chant n’était pas guidé par un intérêt seulement artistique, mais aussi plus intime. Ce magnifique récit d’apprentissage devient finalement par cette lecture sensible une véritable œuvre romanesque.