Twist à Bamako

Et rêvons d’un monde meilleur

1962, dans un Mali fraîchement indépendant, le socialisme s’affiche comme rêve parmi la jeunesse qui danse sur des airs yéyés et notamment pour Samba et Lara, qui s’aiment comme des enfants. Le 22e film de Guédiguian se délocalise, mais déploie toujours l’humanisme que l’on connaît et apprécie.

On pourrait s’étonner de voir le réalisateur de Marius et Jeannette (1997) quitter sa zone de confort, Marseille, pour tourner sans aucun de ses acteurs favoris et en Afrique de l’Ouest (en réalité au Sénégal, pour raisons de sécurité) cette histoire de révolution culturelle et socialiste. Mais c’est oublier un peu vite que Robert Guédiguian s’est déjà aventuré ailleurs avec Le Voyage en Arménie (2006), et aussi, dans le cadre de ses trois films historiques précédents : Le Promeneur du Champ de Mars (2005), L’Armée du crime (2009) et Une histoire de fou (2015). 

Twist à Bamako est de cette veine-là : écrit avec Gilles Taurand, comme les trois précédents opus cités, il remonte cette fois soixante ans en arrière, pour conter le début d’un rêve par le président du Mali, Modibo Keïta, et par de très jeunes gens. Soit Samba (Stéphane Bak), militant fervent, fils de négociant en textiles et chef de mission, qui parcourt avec ses deux amis et lieutenants les villages les plus reculés pour y porter la bonne parole socialiste. Sa route croise celle de Lara (Alicia Da Luz Gomes), fuyant un mariage arrangé avec une brute épaisse. Mais le danger rôde, car les commerçants ne supportent pas les nouvelles règles qui leur font perdre de l’argent, les politiques voient d’un sale œil la jeunesse habillée « à l’européenne » se « trémousser » au rythme de chansons yéyés dans les boîtes de nuit de Bamako, et le frère et le mari de Lara la cherchent pour la ramener au bercail.

Twist à Bamako de Robert Guédiguian. Copyright AGAT FILMS / Diaphana Distribution.

L’idée du film est née des sublimes photographies en noir et blanc de Malick Sidibé, qui captura dans les années 1960 à Bamako l’esprit fou de cette fête révolutionnaire en marche à travers les images de très jeunes gens dansant sourire aux lèvres, chevauchant des motos ou s’ébattant sur la plage. Guédiguian les recrée, en images arrêtées qui soudain se colorent et s’animent, pour conter l’espoir d’un monde meilleur. Il nous offre au passage de découvrir un pan méconnu du passé malien. Il mêle l’universelle histoire d’une révolution enthousiasmante des idées à l’intime via une romance à la Roméo et Juliette (comme déjà dans L’argent fait le bonheur  (1993), À la place du cœur (1998) et Mon père est ingénieur (2004)). Parfois didactique, volontiers naïf, le film n’hésite pas à asséner un certain nombre de messages sur le patriarcat, la place des femmes, l’individu face au collectif. Mais il sait aussi faire la part belle à l’élan vital. S’envoler au rythme de Twist à Saint-Tropez des Chats sauvages ou de Belles, belles, belles de Claude François, se parer de chatoyantes couleurs dans la boutique de bazin et de batik, et donner la chair de poule lorsque les villageois regardent, médusés, Lara et les trois garçons empoigner des pioches et se mettre au travail en chantant pour les persuader de défricher à leur tour un coin de terre aride.