Désigné Coupable

Voyage au cœur de l’inhumanité

Histoire vraie, film dossier qui fournit révélations et palpitations sur ce qui a pu se passer à Guantanamo, Désigné Coupable est aussi une œuvre qui croit au pouvoir du cinéma.

 

Réalisateur de documentaires et de fictions, de Mon meilleur ennemi au Dernier Roi d’Écosse, Kevin Macdonald, même quand il choisit de tourner dans la seconde catégorie, garde toujours un pied dans le réel. Ici encore, il adapte une histoire vraie, celle de Mohamedou Ould Slahi, Mauritanien arrêté chez lui, en 2001, deux mois après les attentats du 11 septembre. Et dont la famille perdit totalement la trace pendant des années, jusqu’à ce que deux avocates, quatre ans plus tard, le recherchent et obtiennent de la prison de Guantanamo cette réponse aberrante :  « Il n’est pas ‘pas là ». 

Désigné Coupable de Kevin Macdonald. Copyright TOBIS Film GmbH.

Filmé en Scope, et en 1:33 pour les parties évoquant les flash-back et tout ce qui concerne les tortures, Désigné Coupable est à la fois le récapitulatif effrayant d’une machine que rien ne peut arrêter (mise en marche sous le gouvernement Bush, mais continuée sous Obama) et un plaidoyer contre toutes les exactions, les inhumanités. Le dispositif du film est tel que, lorsqu’on voit les traitements humiliants et terrifiants infligés au prisonnier, c’est parce que ses avocates y ont accès à travers les lettres qu’il leur envoie (même copieusement « caviardées », censurées par l’administration pénitentiaire). Ce prisme permet l’authentification et décuple l’empathie. En parallèle, l’enquête menée par un militaire pur et dur, chrétien de surcroît, qui entend bien châtier les coupables, mais pas les premiers venus ni au mépris de la loi, permet de multiplier les points de vue et d’endosser la colère légitime contre toute forme de terrorisme. Jodie Foster, Shailene Woodley et Benedict Cumberbatch, seconds rôles impressionnants, entourent avec humilité et talent un Tahar Rahim plus que crédible. Et les images finales sur les vrais protagonistes corroborent la justesse du casting.

Désigné Coupable de Kevin Macdonald. Copyright TOBIS Film GmbH.

Dans ses interstices, le film raconte aussi l’amitié naissante entre deux prisonniers parqués dehors dans la cour, séparés par de hauts grillages occultés par des bâches vertes, « décorés » par des panneaux intimant de ne pas « blesser les iguanes »… Dans ces geôles à ciel ouvert, qui font lever les yeux des prisonniers vers les nues, viennent se nicher la force de vie, les liens qui se nouent, les espoirs qui font tenir. Envers et contre tout. « En arabe, le mot « liberté » et le mot « pardon », sont les mêmes », déclarera Mohamedou lors de son procès… C’est toute la force du film de Macdonald d’éviter le manichéisme et, en faisant œuvre de témoignage, de déployer son, formats, textures, sans montrer les muscles, mais avec une maîtrise impressionnante ; toute la puissance du cinéma au service de cette histoire.