Tu mérites un amour de Hafsia Herzi

Les vertiges de Lila

En douce, Hafsia Herzi a réalisé son premier long-métrage. Une balade impressionniste dans Paris. L’histoire d’un chagrin d’amour et d’une tentative de désintoxication, à laquelle elle donne elle-même corps. Un voyage simple, libre et lumineux.

Douze ans déjà qu’Hafsia Herzi mène un joli parcours, jalonné d’une quarantaine de rôles, sous la houlette d’Alain Guiraudie, Bertrand Bonello, Radu Mihaileanu, Emmanuelle Bercot, Sylvie Verheyde (actrice ici dans un second rôle), Mehdi Ben Attia, Erick Zonca ou, bien sûr, le révélateur et fidèle Abdellatif Kechiche. Des premières œuvres, elle en a tourné aussi. La voici aujourd’hui devant et derrière la caméra, quelques années après avoir signé un court-métrage, Le Rodba, avec une aventure lancée à la Semaine de la Critique à Cannes. En trois fois cinq jours, étalés sur trois mois, elle a filmé le trajet d’un deuil amoureux. Une économie drastique et une volonté de fraîcheur l’ont menée à choisir des interprètes et techniciens pour la plupart novices à leur poste. Une énergie et une liberté de ton qui gagnent l’écran.

Tu mérites un amour est le titre d’un poème de Frida Kahlo et la maxime qui en commence chaque paragraphe tel un mantra. Une injonction qui inonde l’esprit du film d’un positivisme bienveillant. La poésie, aérienne, gracieuse, coule dans les veines de ce récit urbain et estival. La caméra, fluide elle aussi, saisit tout en douceur les ressentis tortueux de l’intoxication amoureuse, et la difficulté à se sortir l’être désiré de l’âme et de la peau, entre attraction et répulsion, entre amour et haine. Contournant la simple chronique d’un couple qui se sépare, la cinéaste opte pour la déambulation de celle qui tente de rester ouverte au monde, pour ne pas plonger dans un précipice mortifère. Un parcours individuel nourri du collectif, où le lien à l’autre est permanent, dynamisant, salvateur, et qui lui a valu le prix de la mise en scène au récent Festival d’Angoulême.

Comme ses aînées, Cléo chez Varda et les héroïnes rohmériennes, Lila arpente Paris et réagit au gré des rencontres. Un papillonnage de l’amitié et du désir qui joue de tranches de vie à l’humour communicatif, à l’humeur badine et à la mélancolie délicate. En devenant son propre modèle, tel un peintre amateur qui découvre sa créativité, Hafsia Herzi fait preuve d’une générosité qui efface le nombrilisme. Elle s’offre en véritable incarnation d’un sentiment, d’un état, d’une disponibilité à tous les possibles. Les visages, les corps, les regards qui l’entourent rivalisent de charisme et de cinégénie, entre burlesque et sensualité, créant une douce singularité. Hafsia/Lila défie la loi des genres et de la gravité. Elle s’élève, légère, vers la lumière.