Titane

La fureur de vivre

Sacré moment que ces retrouvailles avec Julia Ducournau. Son second long-métrage, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, est un uppercut et un hurlement d’amour. La confirmation d’un talent immense au service d’une humanité blessée et en quête de résilience.

À quoi s’attendre après Grave, son premier long-métrage choc et passionnant révélé en 2016 ? À un nouveau choc. C’est le cas. Et la barre est encore montée d’un cran. Julia Ducournau est une cinéaste étonnante, à l’imaginaire et au savoir-faire déments, et qui prend son temps. Cinq ans depuis le film précédent, lui-même distant d’une demi-décennie de la présentation de son court-métrage Junior à la même Semaine de la Critique cannoise. Une période de maturation nécessaire et productive pour l’auteure. Elle en a profité aussi pour répondre à l’invitation de réaliser deux volets de la série télé Servant, produite par le roi des projets à sensation M. Night Shyamalan. Le genre et l’extrême évidemment, combustible infini pour raconter le monde. Le féminin, le masculin, l’abus, la violence, la douleur, l’injonction, le désir et l’amour sont le terreau du film. Oui, l’amour, qui déborde de chaque pore de la peau comme de chaque once de métal. Car ce cri d’une heure trois quarts est une quête abyssale de l’attachement humain. Et de la transmission.

Vincent Lindon dans Titane de Julia Ducournau. Copyright Carole Bethuel.

Depuis l’enfance, l’héroïne encaisse jusque dans sa chair, et l’âge adulte va lui permettre d’exulter. Exulter pour mieux exister, à n’importe quel prix, jusqu’à sa rencontre avec un père meurtri (Vincent Lindon, incarnation tellurique). La caméra réunit deux organismes mis à mal par l’extérieur, mais aussi par eux-mêmes, et qui, tels les mammifères qu’ils sont, vont se renifler, se reconnaître et se rapprocher, pour mieux s’épauler et affronter l’univers. Julia Ducournau suit les corps à ras d’épiderme, à ras de muscle, à ras d’os. Ces corps qui, tendus au maximum, s’engagent pour mieux mettre le feu ou l’éteindre. C’est un point de rencontre fulgurant, et un lieu du salut, quelle qu’en soit l’issue. Du réalisme, le récit glisse vers le fantastique, pour coller au trajet intérieur de la protagoniste, en passant par la fureur et le gore. En assumant toujours ses références à ses aînés (Cronenberg, Carpenter, Scott, Verhoeven), Julia Ducournau creuse, triture, sculpte, innove, et s’invente. Elle renouvelle aussi le regard féminin sur le féminin, avec ici l’interprétation d’une nouvelle venue qui se donne corps et âme : Agathe Rousselle, adoubée par l’actrice fétiche Garance Marillier, ici en présence secondaire, telle l’incarnation d’une sororité fatale.

 

Garance Marillier dans Titane de Julia Ducournau. Copyright Carole Bethuel.

La réalisatrice dit de ses films qu’ils ne prennent pas par la main. La rencontre avec eux ne se place en effet pas sur le terrain de la balade bucolique. Mais le voyage nourrit. Car, avec sa mise en scène puissante et sa précision formelle, elle trace une ligne narrative magnétisante, dont ni les personnages ni le public ne réchappent. L’expérience est organique aussi pour la personne face à l’écran. Le cinéma de Julia Ducournau s’éprouve, quel qu’en soit le ressenti. Sa force esthétique nous enveloppe et ne nous lâche plus jusqu’à la dernière image. On en ressort KO, mais ébloui. Car la lumière surgit du chaos et de la vulnérabilité, que l’humanité reste immuable ou qu’elle aille vers l’hybridation, que les corps saignent ou suintent d’huile de moteur. Titane ne ressemble à rien d’autre qu’à lui-même. Et c’est gigantesque.