My name is Orson Welles

Légendes vivantes

Cent ans après sa naissance (le 6 mai 1915 à Kenosha dans le Wisconsin), trente ans après sa mort (le 10 octobre 1985 à Hollywood), les films de et avec Orson Welles continuent à fasciner les spectateurs. Et les légendes à propos d’Orson Welles courent encore. Tout en ce génialissime réalisateur et acteur, ce bonhomme gigantesque qui finit sa vie précédé d’un ventre gargantuesque, est taillé pour contribuer au mythe. Et il n’est pas le dernier à avoir alimenté les histoires, semant des cailloux comme le Petit Poucet, alors qu’il avait beaucoup à voir avec l’ogre, amplifiant, brodant, mentant et procédant encore et toujours à brouiller les pistes…

GÉNIE
ULTRA-PRÉCOCE

La légende : « Le désir de prendre médecine est l’un des grands traits qui distingue l’homme de l’animal ». Ce serait avec ces mots que le petit Orson accueillit un jour le médecin de famille venu soigner son frère aîné Richard, blessé à la tête. Le Docteur Bernstein l’a certifié à ses parents, Richard (Dick) et Béatrice, d’autant plus éberlués que leur rejeton n’avait alors que… 18 mois.

Ce qui est avéré : l’enfant était précoce, certes, mais pas à ce point ! Et Orson Welles a déclaré qu’il était loin d’un génie et que, lorsqu’il s’en était rendu compte, adulte, il avait eu beaucoup de mal à s’accepter dans sa normalité. Le bon docteur Bernstein est « tombé en amour » pour l’enfant et pour sa mère, qui souffrait d’une maladie du foie ; il s’est mis à s’occuper quotidiennement des deux, offrant à Orson, qu’il appelait Pookles et qui l’appelait Dadda, un violon, une baguette de chef d’orchestre, du matériel de peinture et de sculpture, un théâtre de marionnettes, une valise à maquillage, une panoplie de magicien. De santé fragile, Orson fut scolarisé à domicile, sa mère lui apprenant à lire avec Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare (information troublante et invérifiable). Dadda Bernstein suivit, en 1918, la famille qui avait déménagé à Chicago. Dick et Béatrice se séparèrent, Orson restant avec sa mère et Dadda, mais voyageant fréquemment avec Dick. Le violon comme le piano lui furent enseignés par sa mère. La baguette de chef d’orchestre renforça vite son sentiment de toute puissance : des amis musiciens de sa mère s’amusaient à le laisser croire qu’il les dirigeait bel et bien. Le théâtre de marionnettes donna lieu à de formidables représentations et recherches de mise en scène, la panoplie de magicien fit de Welles un merveilleux illusionniste, qui fit même des tournées avec tours de cartes, apparitions de lapins et femmes sciées en deux (Rita Hayworth et Marlene Dietrich, notamment). La valise à maquillage devint l’accessoire favori de Welles, qui n’aimait pas son visage et en particulier son nez fin et retroussé, qu’il trouvait ridicule et trop petit. Il s’est grimé toute sa vie et porta des faux nez, même pour aller dîner au restaurant. Le seul de ses rôles qu’il joua avec son vrai visage fut celui d’Harry Lime dans Le Troisième Homme.

Orson Welles : légendes vivantes

SUR SCÈNE
À 5 ANS

La légende : il parut sur scène, enfant, à l’Opéra de Chicago dans Samson et Dalila, puis dans Madame Butterfly. Il fut aussi (selon la biographe Barbara Leaming, dans Orson Welles), à l’entrée des grands magasins Marshall Fields, un lapin pressé qui répétait sans cesse : « Je suis en retard, je suis en retard, pour l’exposition des sous-vêtements de laine du 8ème étage. »

Ce qui est avéré : à peu près rien de tout cela. Mais il est certain que, sous la férule de sa mère et de Dadda Bernstein, il fut immergé dans le monde de l’opéra et du théâtre. Béatrice Welles mourut alors qu’Orson avait 9 ans. L’enfant se retrouvait orphelin de mère et avec deux pères. Bernstein l’imaginait en génie des arts, Dick Welles l’envisageait plutôt journaliste. À 10 ans, Orson eut les honneurs de la presse, sa photo paraissant sous le titre « Dessinateur, acteur, poète à seulement 10 ans » et racontant ses hauts faits lors d’un camp d’été après sa première année à l’école. C’est surtout lorsqu’il entra, en 1926, au collège de Todd à Woodstock (Illinois), qu’il donna plusieurs représentations de Shakespeare et trouva un nouveau mentor, le professeur Roger Hill, dit Skipper. À 15 ans, il perd son père. Juste après, la panoplie de peinture offerte par Dadda devint son compagnon le plus proche lors d’un voyage en Irlande, au cours duquel il devait aussi écrire ses impressions sur ce pays. Il commit quelques « croûtes », selon son propre aveu et griffonna quelques pensées, mais c’est surtout à cette époque, alors qu’il paraissait 18 ans et prétendait les avoir, qu’il entra, en se faisant passer pour un acteur new-yorkais aguerri, dans la compagnie du Gate Theatre, dirigé par Hilton Edwards et Micheál MacLiammóir, et accéda immédiatement à un rôle important dans Le Juif Süss, puis aux premiers rôles dans Hamlet, Richard III, etc.

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CITIZEN KANE,
UN VRAI TRAVAIL D’ÉQUIPE

La légende : il ne serait pas l’auteur du scénario de Citizen Kane, son premier long-métrage achevé en 1941, alors qu’il n’a que 25 ans. Ce qui est avéré : au générique, figurent les deux noms de Hermann J. Mankiewicz et d’Orson Welles. En réalité, John Houseman, compagnon d’armes du Mercury Theatre, y contribua également, mais contractuellement, il ne devait pas apparaître comme scénariste. Et c’est pourtant lui qui fit courir la légende d’un seul auteur, Mankiewicz. Les nombreux mémos et courriers retrouvés par les différents biographes (dont Simon Callow dans Orson Welles The Road to Xanadu) attestent que le scénario de Citizen Kane est bel et bien le résultat global de séances de travail et d’échanges de lettres et coups de fil. Il est difficile de déterminer qui y a fait quoi, mais certaines idées sont très identifiées. Welles déclara à Peter Bogdanovich (dans Moi, Orson Welles) que le film entier était le résultat d’un travail d’équipe, rendant ainsi grâce à son chef-opérateur Gregg Toland, à son musicien Bernard Hermann, à son producteur qui trouva le titre, mais aussi à ses acteurs, ses techniciens, ses machinistes… À noter que sur neuf nominations aux Oscars 1942, une seule statuette revint à Welles et Mankiewicz pour le scénario. Aucun des deux n’est allé la chercher.

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LE MASSACRE
D’UNE CHEVELURE

La légende : en 1946, Orson Welles, séparé de Rita Hayworth, fâché que son producteur la lui impose comme actrice principale dans La Dame de Shanghai, aurait sacrifié sa longue chevelure rousse et transformé son image par pure vengeance, en faisant d’elle une garce blonde platine.

La réalité : Orson Welles était séparé, mais pas divorcé de Rita Hayworth, lorsque Harry Cohn de la Columbia, qui avait l’actrice sous contrat, la lui imposa pour le rôle d’Elsa Banister. Orson Welles envisageait une jeune Française inconnue dont il était épris, Barbara Laage. Le producteur, qui avait jadis tenté d’empêcher leur mariage, voyait là un argument publicitaire miraculeux pour ce petit film adapté d’un roman de série B, que Welles lui « devait » en échange d’une somme d’argent allouée pour éponger ses éternelles dettes. Il est souvent dit aussi que Rita Hayworth souhaitait ardemment tourner avec Welles. Dès leurs retrouvailles, Rita et Orson se sont rendu compte qu’ils s’aimaient toujours et se sont installés ensemble. La journaliste et biographe américaine Barbara Leaming, qui a consacré deux épais volume à chacun d’eux, en atteste. Par ailleurs, Rita Hayworth en avait assez d’être cette pin-up éternelle, qui faisait rêver les GIs et dont la photo ornait même la bombe lancée sur l’atoll de Bikini. Elle voulait changer d’allure et de registre. Elle était donc absolument d’accord avec la proposition d’Orson Welles de faire d’elle une héroïne de film noir et d’arborer des boucles courtes d’un blond platine. C’est surtout pour faire un pied de nez à Harry Cohn, et à travers lui, à Hollywood, que Welles et Rita, très complices sur ce point, convoquèrent la presse et firent de ce chambardement capillaire un événement médiatique extraordinaire. Pas plus qu’il ne s’est vengé d’elle en faisant mourir son personnage dans la poussière, Welles n’a instrumentalisé Hayworth, du moins à ce moment-là. La Dame de Shanghai est le plus beau cadeau dont une actrice puisse rêver : un écrin sublime pour sa beauté et son talent. Tant que dura le tournage, l’harmonie fut presque parfaite, malgré quelques brouilles à propos du maquilleur de l’actrice. Rita, qui avait souffert des absences de son mari quand il travaillait sans elle, l’avait soudain tout à elle sur le plateau. C’est ensuite que ça s’est gâté, quand Welles est reparti de plus belle sur de nouveaux projets. Leur divorce, demandé par l’actrice, fut prononcé. Hollywood n’a pas pardonné à Welles d’avoir tourné la Dame de Shanghai, Rita aurait voulu que le film ne s’arrête jamais.

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LE TROISIÈME HOMME,
UN FILM WELLESIEN

La légende : Orson Welles aurait écrit tous ses dialogues, aurait dirigé toutes ses scènes, notamment la spectaculaire poursuite finale dans les égouts de Vienne, et même imposé Joseph Cotten, qui faisait partie de la troupe du Mercury Theatre… Ce qui est avéré : Welles avait le plus grand respect pour l’auteur Graham Greene et pour le réalisateur Carol Reed ; il déclara n’avoir jamais interféré ni dans la réalisation, ni dans les dialogues. Sauf une fois. Lors de sa grande tirade en sortant de la grande roue : « L’Italie, sous les Borgia, a connu trente ans de terreur, de meurtres, de carnages, mais ça a donné Michel-Ange, de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, cinq cents ans de démocratie et de paix. Et ça a donné quoi ? Le coucou ! »  L’ironie de l’histoire veut que cette réplique soit restée la plus célèbre du film. Il y a, dès le départ, plusieurs légendes autour du Troisième Homme : Orson Welles aurait d’abord décliné ce rôle, car il tournait Othello. Mais le frère du producteur Alex Korda, Vincent, le pista en Europe et obtint son accord. Ou bien : Welles était partant, d’autant que son ami Joseph Cotten interprétait le rôle principal et qu’il avait besoin de liquidités immédiates pour renflouer le budget de son Othello. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il préféra un cachet à une participation aux bénéfices. Et, vu l’immense succès du film, s’en mordit les doigts longtemps.

Orson Welles : légendes vivantes