Love

Ils s’aiment

Seul contre tous, Irréversible, Enter the VoidGaspar Noé, l’enfant terrible et provocateur du cinéma mondial, avait déjà fait étalage de son goût pour le sang, le sexe et la sueur, en 3D. Le voilà qui dévoile son cœur. Et le choc ne sera probablement pas celui que tous attendent.

Il y a plus de dix ans que Gaspar Noé y travaillait, affichant  sans honte son ambition de réinventer l’amour au cinéma. Et puis, il y a eu les affiches. D’abord ce baiser à trois en très gros plan, puis cette explosion de joie atterrissant sur une main et un sein. Et puis encore les déclarations de Vincent Maraval, le producteur, qui vendait la bête en assurant qu’elle ferait « bander les garçons et pleurer les filles ». Et puis bien sûr, la projection spéciale, hors compétition, à minuit de Love lors du dernier festival de Cannes et qui s’ouvrait, comme attendu, sur une scène de masturbation respective et graphique. Et même, pour couronner le tout, l’utilisation de la 3D, un rien gadget, pour filmer en relief ce que le cinéma « traditionnel » ne donne même pas à voir sans lunettes. Tous les signes extérieurs du scandale étaient là, comme ils le sont toujours dès que Gaspar Noé pointe le bout de sa caméra quelque part. Pourtant, peut-être pour la première fois, l’aura d’événement choc entourant le film agace.

Car Love est bien plus qu’un simple pétard, dont il serait si facile après coup de regretter qu’il soit mouillé. Love est un mélo, un vrai, à l’ancienne, avec sentiments trop gonflés, larmes amères et courses sous la pluie. Un mélo sexué, oui, bien sûr, personne ne sera dupe. Trip à trois, fellation, cunnilingus, orgies, rien ne manque… Mais rien ne dépasse non plus. Plus encore d’ailleurs que dans La Vie d’Adèle, où Abdellatif Kechiche témoignait d’un regard encore teinté de gêne ou de malaise sur ces scènes de sexe et qui semblait alors presque les transformer en scènes de combat. Dans Love, le sexe et l’amour sont indissociables l’un de l’autre et c’est bien davantage une douceur mêlée de tristesse qui domine. La romance qu’ont vécue Murphy et Electra, deux Américains à Paris, dont Murphy se souvient après que la mère de son ancienne amante l’a averti de sa disparition, en est une autant physique que sentimentale, les expériences tentées dans la première sphère nourrissant ou affaiblissant la seconde, et vice versa.  Rarement (jamais ?) la sexualité n’aura été montrée au cinéma comme un composante si naturelle, si évidente, d’une histoire d’amour. Évidemment, Gaspar reste Noé et l’audace se confond parfois avec une provocation purement porno. Cela empêche-t-il l’amour de vibrer et d’émouvoir ? Non. Car Love est peut-être d’abord et avant tout un grand film de mise en scène.

Un film de voix-off douce et sereine. De choix musicaux élégants et inspirés. De cadrages tranquilles en cinémascope, qui assument leur lyrisme. De direction photo fine. De flash-back intégrés avec fluidité par un montage intelligent. Un film de cinéaste, en bref, qui n’hésite pas à truffer ses plans d’affiches évocatrices (Salo, Birth of a Nation, Taxi Driver…) et à flirter avec la thérapie par l’autoportrait en faisant de ce Murphy, aspirant cinéaste, un être entièrement – ou presque – responsable du désarroi dans lequel  il se trouve. Autant de traits qui, certes, obligent à regarder droit dans les yeux ce qui peut se tramer lorsqu’une histoire échoue, tant physiquement qu’émotivement, mais qui construisent aussi, par la grâce de l’attention tendre et sincère que lui porte le cinéaste, une atmosphère aux confins de la mélancolie. Oui, Love, œuvre crue et douce, sensitive et cérébrale, sensuelle, triste et violente à la fois, fait, parfois par la même image, pleurer et bander. Et c’est, entre autres, ce qui en fait une expérience de cinéma si troublante, si unique.