Bilan des Tapes

Cannes, dimanche 28 mai, aux petites aubes, on prend la direction opposée à celle, pourtant devenue notre parcours quotidien depuis 12 jours, du Palais des Festivals. Objectif : rejoindre la gare, et vite. Comme dans toute transhumance qui se respecte, on constate qu’on n’est pas seul à ahaner en traînant une valise prête à exploser sous le poids des catalogues et autres dossiers de presse. La faune et la flore (la fine flore) des journalistes rentre au bercail, retrouver conjoint, enfants, chat, chien, vache, cochon, couvée. La vraie vie, et hop ! Et le palmarès, me direz vous ? A la télé, le palmarès !

Aux abords du bâtiment, on avise un vigile local afin qu’il nous déniche la boîte aux lettres où poster in extremis les rituelles cartes de Cannes (toujours les mêmes) envoyées aux amis (toujours les mêmes), selon le rite (c’est important, les rites). L’homme est armé jusqu’aux dents et néanmoins affable. Il accepte même de garder valises et sacs à ses côtés pendant que vous crapahutez vers le container jaune situé à l’autre bout de la rue. C’est beau de voir que la paranoïa ambiante (et justifiée par l’attentat de Manchester lors d’un concert pour mômes) n’a pas eu raison de tous.

Pour ce 70ème anniversaire, le Festival de Cannes avait mis les petites paillettes dans les grandes. Décorum à foison, rétrospectives émouvantes, et invités prestigieux. Dans la salle du Grand Auditorium Lumière, le soir du 24 mai, il y avait, de Catherine Deneuve à Ken Loach, en passant par Mads Mikkelsen, Marion Cotillard, Nanni Moretti, Jane Campion, Juliette Binoche, Michael Haneke, Benicio del Toro, Charlize Theron, David Lynch, Christoph Waltz, Isabelle Huppert et bien d’autres, plus de stars que de spectateurs anonymes. Dans les jurys aussi, ça se bousculait en notoriété. Dans la salle Debussy où sont diffusés les films de la section Un Certain Regard, Uma Thurman présidente starissime, était surveillée de près par un garde du corps… qui trônait au milieu d’un rang vide, juste derrière sa protégée. Même le service d’ordre de la Ministre de la Culture française, Françoise Nyssen, qui assista entre autres à la Clôture de la Semaine de la Critique et à la projection de L’Amant Double de François Ozon, n’en demanda pas tant.

Drôle d’ambiance sur la petite planète Cannes, qui se veut oublieuse du réel mais ne peut s’empêcher d’être rattrapée par lui… Dans les films plus que dans la vie, d’ailleurs. Migrants, familles dysfonctionnelles, crise économique, repli sur soi… les fictions et documentaires ont cogné dur sur le glamour. Mais ce soir, la Palme d’Or qui sera remise – on se demande bien à qui ? – par le président Pedro Almodovar (souvent appelé à Cannes, mais jamais élu), est garantie par son créateur, Chopard, 100% « luxe durable ». N’était l’oxymore, on en viendrait presque à croire que tous ces communicants ne réfléchissent pas plus loin que leur nez poudré… Ma non-violence farouche ainsi que la politesse enseignée par ma mère, m’obligent à ne pas pousser plus avant le commentaire. Sauf à dire que le retour dans le métro s’impose avant grave risque de déconnexion définitive de la vraie vie et du monde tel qu’il (ne) va (pas).