Comment ça va, les cinéastes ?


Trois questions à Suzanne Lindon

Comment celles et ceux qui réalisent vivent ou ont vécu le second confinement hexagonal et l’absence de grand écran ? À l’heure où les salles de cinéma sont fermées, où certaines sorties de films ont été écourtées ou annulées, en attente d’une date ultérieure, et où le processus de création est impacté, BANDE À PART prend des nouvelles de jeunes cinéastes.

À vingt ans tout rond, Suzanne Lindon débarque sans crier gare, après avoir écrit, réalisé et interprété son premier long-métrage, Seize printemps. Un portrait adolescent et amoureux en apesanteur, à la fois sous influence (À nos amours de Maurice Pialat, L’Effrontée de Claude Miller) et libre comme l’air.

 

Seize printemps devait initialement sortir le 9 décembre dernier. La date annoncée par Paname Distribution, depuis le second confinement, est le 27 janvier, en espérant la réouverture très prochaine des salles. Comment vivez-vous ce temps de report ?



Ce que je trouve inédit est d’avoir réussi à faire Seize printemps, que l’on veuille le sortir, qu’il ait été sélectionné pour le label « Sélection officielle » du Festival de Cannes, et dans d’autres festivals, et qu’il ait déjà eu une petite vie. Un film existe aussi avant qu’il ne sorte en salle, et j’en suis stupéfaite. La période que l’on est en train de vivre est très compliquée. C’est un temps morose et monotone, où on a tellement besoin d’être ensemble, solidaires et soudés, que l’on ne peut pas se permettre de ne regarder que ce qui nous concerne. Quand je pense à ce décalage de la sortie de Seize printemps, je pense également aux autres, parce que ce qui prime pour moi reste la réouverture des cinémas. J’en ai besoin et j’ai l’impression que tout le monde aussi. Ne pas savoir quand il sortira est évidemment déstabilisant, mais il sortira. Il faut faire preuve de patience, et je ne me sens pas du tout légitime de me plaindre, je suis très privilégiée, quand les gens de mon âge ne peuvent pas vivre actuellement l’insouciance de la jeunesse. 

Orné de ce label cannois, Seize printemps a donc été programmé dans de nombreux festivals, en France comme à l’étranger. Il a été primé à Wroclaw en Pologne, Minsk en Biélorussie, Mar del Plata en Argentine ou Macao en Chine. Où avez-vous pu l’accompagner, et comment se sont passés les échanges avec le public ?


J’ai pu voyager, l’accompagner, et j’y tenais, parce que c’est une étape qui m’intéressait beaucoup dans le processus de création d’un premier long-métrage. C’est une première fois qui est rare et dont il faut savourer chaque instant. J’espère que j’en ferai d’autres, mais je ne sais pas s’ils auront un parcours aussi géant que celui-ci. Je suis allée à Angoulême, Rome, Athènes, ou San Sebastian, le premier gros festival où j’ai pu me rendre, avec la projection la plus émouvante, en tout cas à l’étranger, parce que c’était une salle géniale. Les spectateurs étaient très curieux de découvrir Seize printemps et réagissaient beaucoup. Alors que je déteste rester dans la salle, parce que j’ai peur de gêner, on m’a demandé de le faire, et j’ai adoré. C’était convivial, j’avais l’impression d’être avec tous mes amis, chez moi, en train de regarder mon film. Cela m’a aussi fait découvrir que j’adore parler de mon expérience comme réalisatrice et comme actrice, et que je n’ai pas forcément envie de choisir entre les deux. Et puis, dans ces lieux où parfois personne ne connaît mes parents (Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon, ndlr), j’ai plus de facilité à assumer que j’ai justement fait les deux.

Les festivals où Seize printemps a été primé se sont déroulés pendant le deuxième confinement, donc je n’ai pas pu y aller. J’en étais un peu attristée. La première récompense a été décernée en Pologne, or j’ai des origines polonaises. Le gérant de la manifestation connaît quelqu’un qui connaît mes ancêtres, des gens de ma famille. On aurait dit que c’était orchestré, c’était un peu particulier. J’ai participé à de nombreuses vidéos zoom à distance après les séances, des questions-réponses via ordinateur, notamment avec Chicago ou Busan. C’était toujours un peu frustrant parce que j’aime sentir les gens, pouvoir les toucher. Je comprends ce qu’ils ressentent quand ils sont à côté de moi. Les rencontres ne se font pas virtuellement. Mais le film existe grâce à ce parcours, c’est tellement énorme, et je ne m’y attendais tellement pas que cela fait tout relativiser. Si j’en parle égoïstement, j’ai aimé cette année 2020 compliquée.

Vous êtes toute jeune, vous avez entamé des études aux Arts Décoratifs, et vous voilà déjà auteure, réalisatrice et interprète de votre premier long-métrage. Cette concrétisation des premiers pas a-t-elle confirmé votre désir de continuer dans cette voie ?


J’ai envie de continuer. J’étais aux Arts Déco mais, avec Seize printemps, j’ai eu moins le temps de m’y consacrer. Aller à l’école a toujours été important pour moi, comme une assurance-vie, pour me rassurer et me dire que j’avais autre chose si jamais ça ne marchait pas. Ça me permettait de ne pas compter que sur une voie un peu aléatoire : le cinéma. La vie, c’est faire des choix, et faire des choix, c’est renoncer, donc je suis en train de renoncer aux Arts Déco ! J’ai fait le film pour jouer dedans, parce que mon envie première est d’être actrice. J’avais beaucoup de mal à me sentir légitime face à ce désir, à cause de ma filiation. Mon moyen d’être potentiellement choisie pour les bonnes raisons a été de m’écrire un rôle, et pour m’écrire un rôle, il a fallu écrire un long-métrage. Puis je me suis aussi découverte passionnée par la réalisation. Je crois que je vais prendre plus de temps pour ma prochaine mise en scène, parce que c’est tellement démentiel, énorme et chronophage qu’il faut que je puisse m’emparer du sujet dont je parle, et que ce soit une nécessité. Mais j’aimerais recommencer à jouer, rapidement, et pour les autres aussi. Je me sens très libre quand je joue.