Une grande fille

Après la guerre

Présenté à Cannes en 2017 et sorti en 2018, Tesnota – une vie à l’étroit de Kantemir Balagov avait recueilli un grand succès critique. Dans Une grande fille, son deuxième film à seulement trente ans, il poursuit dans la veine du portrait de femme cherchant un avenir au sein d’une Russie déchirée. Passionnant.

Iya a des spasmes. Des moments de paralysie qui l’empêchent de respirer. Elle cherche alors son souffle. Sur ce postulat, Kantemir Balagov base le tour de force de son dernier film : nous faire ressentir le caractère asphyxiant de la vie de son héroïne.

À Leningrad, ville désolée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Iya n’a d’autre échappatoire à son existence d’infirmière que l’amour qu’elle porte à son fils. Mais celui-ci, très vite, lui sera retiré. Et Iya, encore et toujours, verra son souffle coupé par une amitié toxique et les devoirs que les autres lui imposent (se donner à des hommes, porter la vie, euthanasier celui qu’elle voulait sauver…).

Grande en taille mais des plus soumises, cette femme, interprétée par Viktoria Miroshnichenko, fascine. À l’instar de l’autre rôle féminin de ce long-métrage russe (sa copine Masha, formidable Vasilisa Perelygina), Iya ne se livre jamais entièrement : sauvage bien que docile ; aimante autant que froide.

Relevant aussi bien d’un travail de composition et de construction que d’une improvisation, le jeu de ce duo offre une exaltante intrigue de luttes de pouvoir. Inexorablement, les corps d’Une grande fille écartent toute forme de sérénité et de plaisir. Malgré quelques scènes de séduction, ils restent des armes, en résistance et en violence.

Tensions souterraines et scènes étirées sur le fil du rasoir : Kantemir Balagov n’accorde de répit qu’en bonheurs éphémères. Où qu’aillent Iya et Masha, l’espace les contraint et les rapetisse ; les lignes de fuite se bornent à un horizon indépassable. Ce remarquable travail de réalisation, qui a valu au film le prix de la mise en scène dans la catégorie Un Certain Regard à Cannes, maintient constamment l’intérêt d’un récit tout en lenteur.

À l’instar de Victoria (Sebastian Schipper, 2015) ou du Fils de Saul (László Nemes, 2015), Une grande fille nous emmène malgré nous dans un territoire hostile et plein d’imprévus. Une réussite.