NIFFF 2019 : beauté intérieure

À Neuchâtel du 5 au 13 juillet

La 19e édition du NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) s’est achevée il y a quelques jours déjà, mais rendre compte de cette manifestation chérie me prend toujours un peu de temps… Fin de la décantation, l’heure de livrer belles découvertes et impressions variées a sonné !

Suivant la logique de ma fantastique immersion néo-zélandaise en 2018, je pensais, cette année, me concentrer sur la mise en lumière des cinématographies d’Afrique subsaharienne. Que nenni. D’impromptus problèmes de garde de chat sont venus compromettre un plan qui n’était de toute façon pas si arrêté. Au final, avec un séjour raccourci, ma soif de découverte initiale s’est heurtée à un brin de paresse – privilégier les films de la compétition internationale augurait une vue d’ensemble plus évidente – et beaucoup de considération pour mon séant – le confort varie fort entre les salles de projection, j’ai visé les fauteuils moelleux ! Alors non, ce n’est pas glorieux, mais ouf, je n’ai pas été punie = plein de chouettes films à la clef, toutes sections confondues.

Ma première bonne surprise est suisse. J’ai failli faire l’impasse sur Das Höllentor von Zürich (2018, Cyrill Oberholzer), à cause de son ignoble bande-annonce, et puis je me suis souvenue qu’en fait, à petite dose, je raffole de ces objets cinématographiques bricolés, bariolés, joyeusement trash. Et j’ai été copieusement servie par ce huis clos en salle de bains, en compagnie de Lara Stoll, jeune artiste pro de la procrastination – une chanson à écrire pour l’Eurovision, un site web à terminer pour sa mère, rien n’avance – qui se coince très absurdement le doigt dans la bonde de sa baignoire. Son calvaire va durer autant que celui de James Franco dans 127 heures (2010, Danny Boyle), un parallèle rendu parfaitement explicite au générique de fin. Outre le remake dingo, le film s’aventure tous azimuts, y compris dans les entrailles de son héroïne qui souffre d’une infection du côlon. Jolis boyaux ! Il ne m’en fallait pas plus pour décider de tirer un fil rouge « beauté intérieure » de film en film.

En réalité, c’est mon coup de cœur suivant qui m’a lancée sur cette piste. Car, dans Swallow (2019, Carlo Mirabella-Davis), nous accompagnons également une jeune femme en pleine errance digestive. Cette protagoniste-ci est introvertie, prisonnière d’un univers en apparence policé, mais truffé d’injonctions d’une insidieuse violence. Hunter (épatante Haley Bennett) revêt tous les atours de la femme au foyer exemplaire, jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Dès lors, elle est prise d’un irrépressible besoin d’avaler des objets de plus en plus dangereux : billes, piles, punaises, etc. Ce trouble alimentaire existe, il répond au joli nom de « pica », mais il est loin d’être le pire ennemi de notre pauvre amie… Voilà une œuvre originale, contestataire et émouvante qui mériterait une sortie en salle.

Une, en revanche, qui semble diablement dénuée de beauté intérieure, métaphorique ou pas, c’est la pourtant séduisante Marie de A Horrible Woman (2017, Christian Tafdrup). Probablement la séance la plus drôle à laquelle j’ai assisté lors de ce festival, tant le public, en particulier masculin, hurlait littéralement d’horreur et d’indignation à chaque nouvelle manipulation de cette « horrible femme » envers son bien brave petit ami Rasmus. Les inconscients venus en couples, eux, riaient jaune et se tortillaient. Un grand moment d’hilarité collectif donc, mais un peu malhonnête : seul compte le point de vue de Rasmus malgré les clins d’œil appuyés que nous adresse Marie.

Après le trash, l’introspectif et le démonstratif vient le potache ! Mais le fil rouge s’effiloche… Girls With Balls (2018, Olivier Afonso), production Netflix, était présenté en séance de minuit, en plein air. Pour mémoire, les séances extérieures se tiennent au cœur de la ville, chaque spectateur étant doté d’un casque audio pour suivre l’action sans trop perturber le sommeil des riverains. Je ne peux pas garantir que ce survival mettant en scène une équipe de volleyeuses crétines soit aussi amusant dans son salon que sur une place suisse, mais après une introduction bon enfant et un brin moqueuse envers les Français, nous étions nous, happy few, idéalement conditionnés pour y adhérer !

Et c’est à ce stade que se rompt le ténu fil de la beauté intérieure. À moins que je ne puisse encore y accrocher Daniel Isn’t Real (2019, Adam Egypt Mortimer) ? L’ami imaginaire de Luke, Daniel, fait des choses qui ont des conséquences parfaitement concrètes dans la vraie vie… Mais où commence et où s’arrête-t-elle, cette vraie vie ? Les jeunes comédiens, Miles Robbins et Patrick Schwarzenegger (étonnant « fils de »), donnent brillamment chair à ce délire schizo qui vaut le détour. On pourrait encore mentionner Come to Daddy (2018, Ant Timpson) avec le protéiforme et très engagé Elijah Wood, là grimé en hipster, qui cherche à renouer avec un père qu’il n’a jamais vu. Et l’excellente surprise qu’a été His Master’s Voice (2018, György Pálfi), récit ambitieux de filiation, mais également de vie extraterrestre, de dictature, de tapisserie en noir et blanc, d’images codées et trafiquées. Je craignais une expérience absconse, elle s’est révélée super stimulante ! Et puis Tous les dieux du ciel (2018, Quarxx), et puis Répertoire des villes disparues (2018, Denis Côté), et puis…

Et puis le grand prix de cette édition ? Extra Ordinary (2019, Mike Ahern et Enda Loughman) est certes sympathique. Une monitrice d’auto-école, médium refusant d’exercer son don, s’amourache d’un veuf persécuté par sa chère défunte. Et dont la fille, adolescente virginale, est convoitée par un musicien sataniste. Il souffle comme un vent de nostalgie 80’… Mais, et ça me désole, car cela se produit de plus en plus ces derniers temps : alors qu’avant, dans les festivals, j’étais en phase avec les prix du jury et surtout ceux du public, je ne vois pas ce qui a motivé les uns et les autres à distinguer ce film-ci.

Toujours est-il que c’était une belle 19e édition, à la riche programmation, et je regrette de n’avoir pu lui faire davantage honneur. Mais j’ai bon espoir de réussir, une année, à rester plus de trois jours !