Josep

Le dessin comme bouleversant moyen de transmission 

Une œuvre dessinée poignante par son sujet fort et sa forme audacieuse, où la poésie visuelle renforce la dureté du réel.

Aurélien Froment (alias Aurel) est dessinateur de presse (Le Monde, Le Canard Enchaîné). Pour son premier long-métrage, un film d’animation qui bénéficie du label Cannes 2020, il s’est intéressé à la vie de l’artiste Josep Bartoli (1910 – 1995), lui-même dessinateur. Cet anti-franquiste en exil (dont Sergi López incarne la voix), fuyant l’arrivée de Franco au pouvoir, espérait trouver en France la paix, mais il fut, comme ses camarades, maltraité dans des camps. Cet exode douloureux est appelé « La Retirada » (la retraite). Le premier intérêt du film est de nous informer avec précision sur un pan de l’histoire méconnu, qui déshonore une certaine France. Mais l’émotion générée par le film provient surtout de la dimension intime associée à cet aspect historique. Le récit est relaté à travers les souvenirs d’un vieil homme, Serge (voix de Bruno Solo), que l’on découvre allongé, fatigué, et qui se confie à son petit-fils Valentin. Au moment des faits, en 1939, il était alors jeune gendarme. Malgré sa position du côté des tortionnaires, il devient l’ami du prisonnier. Ce témoignage rend compte avec empathie du déracinement de Josep, de sa perte de repères et de liberté, sans atténuer la violence des rafles policières, assez malaisantes, aussi bien par les coups donnés que par les propos humiliants proférés.  

Le film alterne entre présent et passé par le biais des confessions. La narration s’autorise alors des ellipses et même des affabulations, lorsque le grand-père veut épater son petit-fils. D’une honte française, le conteur préserve sa part d’exploit, insiste sur le fait de s’être arrangé avec les ordres pour libérer des Espagnols. La puissance du film ne s’arrête pas à son sujet. Certes l’aspect documentaire est bien là, augmenté par la présence des véritables dessins des camps de Josep Bartoli (on le voit griffonner malgré le contexte carcéral, ce qu’on peut lire comme un bel hommage à la force du dessin de presse), mais la dureté des événements s’accompagne aussi d’une pointe d’onirisme. Visuellement, le dessin est souvent statique, peu mouvant, comme une succession de tableaux. L’animation prolonge le point de vue du narrateur. Saccadée, elle reflète le vieil homme vacillant. Grâce à l’animation, le documentaire est nourri d’une part d’imaginaire et de fantasme. Le réalisateur Aurel s’autorise le sentiment d’imperfection, d’ébauche, où le moindre frémissement de l’image est chargé d’une telle émotion que cela en devient bouleversant. On a affaire à un singulier objet de cinéma. 

Enfin, la dimension subjective du récit permet de mettre en scène les questions de transmission (dans la relation inter-générationnelle qui est à l’œuvre) et d’engagement. Au sein de la barbarie, des îlots de résistance peuvent exister grâce à des héros ordinaires, comme pouvait l’être le jeune gendarme d’alors. Ce film, visuellement poétique, est fortement politique. En s’éloignant du contexte historique, le dessin rend le propos universel à même d’alerter et mobiliser la jeunesse d’aujourd’hui. D’ailleurs, les Espagnols d’hier renvoient aux migrants fuyant la guerre et souvent accueillis avec la même inhumanité. En se chargeant de sa dimension intime et personnelle, le récit tisse un lien direct avec notre époque.