S’inscrivant dans la lignée du cinéma d’Éric Rohmer, Eva en août cherche à donner corps à des personnages flâneurs et impermanents.
Le film de Jonás Trueba joue sur trois paradoxes relatifs à l’incarnation. Alors que l’héroïne Eva était venue à Madrid en simple coup de vent pour des vacances, le récit s’ouvre et se conclue sur un emménagement. Scène après scène, l’intimité de son âme nous est dévoilée par une intellectualisation distante de raisonnements oraux. Et la fin parachève nos surprises : Eva dit être enceinte sans avoir fait l’amour.
Il faut du courage aujourd’hui pour faire ce cinéma-là. Saluons-le. Une histoire où l’on filme l’abstraction, le temps du repos, celui qui passe plus lentement, celui des petits riens du quotidien : jouer avec la lumière du soleil depuis son balcon, boire un verre en terrasse, se baigner dans l’eau, manger une barbe à papa. Voilà presque un nouveau genre cinématographique, révélateur de personnages unanimement rêveurs et profonds. Mais si Eva est de ces êtres indécis qui cherchent leur route, elle prend tout de même finalement racine à la suite d’un événement exceptionnel (une sensation de maternité).
Grâce au talent de la monteuse Marta Velasco et à l’interprétation délicate et juste d’Itsaso Arana (Eva), une véritable progression s’opère : là est la réussite du film. Le symbolique éphéméride qui découpe le récit en journées donne sens au disparate. D’une part, en rendant Eva virginale de toute action passée la veille. D’autre part, en datant les événements de son existence, leur donnant ainsi plus de consistance.
Les scènes se répondent et se prolongent ; les connaissances d’ailleurs et d’avant deviennent des amis d’ici et de maintenant ; les emballements fugaces du cœur d’hier se transforment en sentiments profonds d’aujourd’hui. De cette facilité à créer de l’opacité à partir d’un terrain sableux, le cinéaste espagnol Jonás Trueba signe un film diablement séduisant.