L’Infirmière

La Femme aux deux visages

Plongée schizophrène dans l’âme humaine, le nouvel opus de Kôji Fukada est un drame malaisant et épatant, porté par une actrice époustouflante.

Fascinant portrait que ce long-métrage signé Kôji Fukada. Son œuvre précédente, L’Homme qui venait de la mer, est annoncée en salle pour fin décembre, et sa dernière en date, Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis, ornée du label Sélection Officielle Cannes 2020, devrait être révélée l’an prochain. L’affiche française de L’Infirmière donne le ton, avec deux variantes du visage de l’héroïne, en surimpression et en léger décalage. Ovale magnétique de Mariko Tsutsui, qui livre là une interprétation de haut vol. Celle d’une femme dont l’existence bascule du jour au lendemain. Revirement brusque et radical, qui conduit le personnage à changer de comportement, car le regard du monde sur elle s’inverse. Deux facettes d’une même femme. Deux profils d’un même visage, comme l’annonce aussi le titre original du film, Yokogao, qui signifie… De profil.

L'infirmière de Kôji Fukada / Copyright Art House

C’est bien de face que l’on regarde ce glissement vers l’étrangeté et la vengeance froide. En tissant deux temporalités, sans cesses mêlées, le cinéaste filme tout au même niveau : le duo de périodes présentées, et la réalité comme les rêves perturbants que fait parfois Ichiko. C’est là qu’il excelle et que le malaise se déploie. La protagoniste est infirmière à domicile. Très appréciée par la famille qui l’emploie, elle devient la peste incarnée quand elle se retrouve liée au fait-divers frappant ce foyer. L’obsession japonaise de la pureté nourrit la tragédie. Considération de l’autre et comportementalisme nippon. Ce qui était chéri devient maudit. Ce qui était propre devient sale. Et la soignante en fait les frais. Il faut dire que son métier est peu estimé ni valorisé au pays du Soleil-Levant, et que le moindre grain de sable enraye la machine.

L'infirmière de Kôji Fukada / Copyright Art House

Mais Fukada n’appuie pas sur le discours social. Le romanesque prime et le témoignage n’apparaît qu’en filigrane. Le cœur du récit reste la déliquescence, et comment l’inquiétante présence contamine l’écran, dans le sillage de la dernière œuvre de l’auteur sortie dans l’Hexagone, Harmonium. Son écriture acérée, doublée de sa précision formelle, accompagne l’héroïne avec maestria. Les jeux de regard, d’observation et de duplicité font de l’aventure un singulier thriller intime. Un conte cruel où dissimulation et trahison se répandent l’une dans l’autre, au gré d’un ballet de corps mus par l’empêchement et la frustration. Cette déconstruction psychologique aimante, bouscule, et produit un trouble bienvenu au cœur de l’été.