Aristocrats

Naître femme

C’est à Tokyo aujourd’hui et c’est partout : l’histoire d’une femme empêchée par des codes ancestraux et qui, peu à peu, s’en libère et s’évade. Ce film superbe, fluide et tenu, est signé Yukiko Sode. Retenez ce nom !

Hanako est attendue pour un dîner en famille en ce soir de réveillon de Nouvel An. Les conversations ont pour but de la pousser à accepter un rendez-vous arrangé avec un bon parti. Car la petite dernière de la richissime famille Haibara a bientôt trente ans, et, chez ces gens-là, non seulement on ne reste pas célibataire, mais on se marie « dans sa catégorie ». C’est-à-dire dans sa classe sociale d’origine.
Dès les premières images qui sillonnent la ville de Tokyo, majestueuse et moderne, où échafaudages et grues évoquent une mutation constante, on sent à quel point l’environnement et la modernité vont jouer dans ce film, qui s’installe avec une certaine lenteur et à bas bruit. Si Hanako semble soumise et prête à accepter les règles immuables de sa caste, on comprend, au fil des quelques blind dates dont elle sort peu convaincue, que l’homme idéal devra répondre à tous les critères destinés à satisfaire sa famille. Tous les critères plus un. Elle devra tomber amoureuse. C’est sa révolte et son choix.

Aristocrats de Yukiko Sode - Copyright Art House

Découpé en chapitres, le film épouse d’abord littéralement le parcours de Hanako (Mugi Kadowaki) jusqu’à son union avec Koichiro, puis bifurque pour aller chercher un autre personnage, celui d’une jeune femme dont Hanako a trouvé des SMS dans le portable de son mari. Miki (Kiko Mizuhara) est une provinciale brillante issue d’un milieu modeste qui, plutôt que de renoncer à ses études à Tokyo, a travaillé pour les payer et est devenue hôtesse dans un bar. D’abord parallèles, les chemins des deux femmes se croisent par l’entremise d’une troisième. Et ce qui se passe alors est du jamais-vu en terme de douceur, de finesse et d’intelligence. Hanako et Miki ont chacune une « meilleure amie », et la force de ces sentiments est leur ancrage et leur garde-fou ; lorsque les deux jeunes femmes se rencontrent, malgré leurs différences et l’enjeu que représente Koichiro, il y a entre elles un élan naturel de respect et de bonté.

Aristocrats de Yukiko Sode - Copyright Art House

Adapté d’un roman de Mariko Yamauchi par la réalisatrice Yukiko Sode, 39 ans, déjà auteure de deux films inédits chez nous, Aristocrats est une minutieuse étude des comportements de classe et du déterminisme social. Mine de rien, elle fait sourdre les différences entre deux scènes de repas, deux goûters de filles. Et même des objets aussi dérisoires que des tasses à café ou des poupées de collection prennent un relief étonnant. Mais ce que raconte Aristocrats, au fond, c’est : comment les femmes, au lieu de se jalouser, se détester, s’affronter, peuvent se comprendre, s’apprécier et s’entraider. Comment la sororité sauvera le monde.

 

Isabelle Danel