Azuro

Soleil battant

Ce premier film arrive sans crier gare. Une revisite de Duras version 2022, avec un casting cinq étoiles, pour une heureuse surprise solaire, subtile et érogène.

 

Étonnant retour sur le devant de la scène que celui de Matthieu Rozé. L’ex-jeune premier du cinéma français – dans Cinq jours en juin de Michel Legrand (1988) et La Neige et le Feu de Claude Pinoteau (1991) – est depuis cantonné aux seconds, voire petits rôles sur grand écran. Il poursuit un riche parcours à la télévision et à la scène, notamment chez Pierre Pradinas. Après avoir réalisé deux courts-métrages, le voilà aujourd’hui aux commandes d’un premier long épatant, dans lequel il ne joue pas. Une adaptation des Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras, paru en 1953, qu’il a revisité avec la collaboration de la scénariste Julie Peyr. C’est une chronique estivale en bord de Méditerranée, entre sieste alanguie, pause alcoolisée et désir à fleur de peau. Le climat est lourd de chaleur et de bilan existentiel. Couples, bambins et solitude se donnent la main parmi le groupe d’amis réunis dans une calanque idyllique.

La richesse du film naît de l’alliance de la langue durassienne, des silences et des corps filmés. Image et son transpirent de sens. Le relâchement des êtres en vacances raconte beaucoup de leur état et de leurs préoccupations, et les décors, dans leur minéralité et leur sécheresse, font écho à l’attente généralisée. Car l’incertitude est tapie entre les rochers. Celle de la pluie, des réactions, de la fin des incendies, et d’une hypothétique apocalypse. La menace plane. Le mystère aussi, dans ces journées à la temporalité déréglée et soudain bousculées par l’arrivée d’un homme magnétique, sur son bateau. Un mâle bientôt révélateur des sentiments des autres. Pas facile de créer de la matière avec de l’indicible et du sous-jacent. C’est grâce à son regard frontal et enveloppant que Matthieu Rozé recrée un petit monde en vase clos et à ciel ouvert, désencombré de la technologie et du tout-connecté.

La distribution rivalise de sensualité, et l’harmonie des caractères fonctionne à merveille. Valérie Donzelli, Thomas Scimeca, Yannick Choirat, Maya Sansa, Florence Loiret-Caille et Nuno Lopes forment un quintette où chaque soliste trouve sa note d’incarnation. Dans notre présent à la proximité troublée, ce séjour décalé n’en est que plus intense. Intense comme la composition des couleurs, magnifiée par le chef-opérateur George Lechaptois. Rouge, jaune et bleu diffusent leurs rayons fascinants sur les épidermes des personnages comme dans la coupole céleste, de soleil éclatant en flots veloutés, d’apéritif acidulé en horizons flamboyants. Et l’humour se savoure, subtilement distillé le long du scénario, de répliques bien balancées par Florence Loiret-Caille aux sauts de dauphin du bellâtre de la baie. Cette parenthèse à l’atemporalité pop est un vrai délice, à siroter en attendant l’été.